Par Désiré-Israel Kazadi à Kinshasa (AR No. 153, 30-Jan-08)
D'ici deux mois, la crédibilité de la Cour pénale internationale sera soumise à un test, lors de son procès inaugural, qui verra le chef de milice Thomas Lubanga Dyilo faire face à des chefs de recrutement d'enfants soldats dans la région nord-est de l'Ituri, en République démocratique du Congo.
L'affaire - qui doit commencer le 31 mars - enverra des signaux aux gouvernements dont l'Ouganda et le Soudan ne sont pas les moindres, où les hommes inculpés par la CPI sont toujours en fuite, ainsi qu'à leurs dirigeants quant à l'engagement du monde pour un système universel de justice.
Un procès approfondi et raisonné pour Lubanga pourrait générer le respect des mécanismes de justice internationale, et pourrait aussi encourager la coopération et l'action de la police, et non pas uniquement les déclarations orales de soutien.
En outre, plus important encore peut-être, un procès couronné de succès, quelque soit la manière dont il est défini, pourrait propager un sentiment de confiance envers la CPI. En fin de compte, cette confiance apporterait l'espoir à des millions de victimes de crimes de guerre, non seulement dans l'est du Congo, mais également dans des dizaines d'autres régions ravagées par la guerre.
Par conséquent, l'intérêt pour l'affaire Lubanga a été important parmi les journalistes travaillant au sein de la tentaculaire capitale du Congo, Kinshasa. Cela s'est intensifié avec l'arrestation récente suivie de l'incarcération d'un deuxième chef de milice en Ituri, Germain Katanga.
"Nous réservons une très bonne place à la CPI [dans notre publication], parce que nous pensons qu'elle garanti l'impartialité de ses juges et qu'elle est déterminé à trouver les criminels de guerre allégués," a indiqué Diana Gikupa, rédactrice en chef du quotidien pro-gouvernemental de Kinshasa, L'Avenir.
A Congo, où la corruption des juges est notoire et où le système judiciaire est au mieux chaotique, les crimes ne font l'objet d'aucune poursuite et d'aucune sanction,ce qui provoque une méfiance généralisée envers les Tribunaux.
Le procès de Lubanga devant la CPI est un évènement charnière pour les Congolais las de la guerre et qui ont été témoin de la manière dont les auteurs de crimes horribles sont ressortis libres de leurs méfaits.
La CPI dépend de la presse congolaise pour informer les citoyens au sujet de la tournure quotidienne des évènements, de la procédure, des demandes et des réfutations au procès de Lubanga mais trouve souvent que cela est fait avec des résultats mitigés.
Certains reporters congolais ont tendance à être mal formés et nombre d'entre eux ne sont pas familiers du travail juridique d'une lointaine cour internationale basée à La Haye.
"Parfois ils écrivent des inexactitudes ou répandent des rumeurs," reconnaît Paul Madidi, le porte-parole de la CPI au Congo. "Heureusement, ils n'ont pas tous ce défaut."
Pour lutter contre ce problème, la CPI a passé trois ans à travailler avec des journalistes et à les former au sujet de la CPI. Pourtant, indique Madidi, cela n'a sans doute pas suffit à écarter certaines fausses idées envahissantes.
L'une des plus répandues, indique-t-il, tient au fait que la CPI n'a pas compétence sur les crimes commis avant juillet 2002, l'année où la Cour a commencé à être opérationnelle. Cela rend perplexe de nombreux congolais qui ont vécu des crimes de guerre depuis des décennies.
Un fait troublant pour les journalistes congolais et également pour les observateurs est que Lubanga ne soit pas poursuivi pour des crimes bien plus graves, dont nombreux affirment qu'il les a commis. Ils se demandent aussi pourquoi la CPI ne poursuit pas ceux qu'elle décrit comme les instigateurs du conflit en Ituri.
"Lors de la campagne des élections en 2006, un journal avait publié en première page un article affirmant que 'la CPI [allait] arrêter [le chef de l'opposition Jean-Pierre] Bemba," a indiqué Madidi.
"Des titres similaires dans d'autres journaux affirmaient que la CPI allait arrêter [le chef rebelle Laurent] Nkunda."
Aucune de ces déclarations n'était vraie.
"D'autres journaux ont affirmé que la CPI se cachait derrière le mandat d'arrêt international délivré contre Nkunda," a continué Madidi, mais c'était en fait le gouvernement congolais qui a délivré son propre mandat d'arrêt en 2005 pour des crimes prétendument commis par les soldats de Nkunda lors d'une attaque contre la ville de Bukavu, au Sud Kivu en 2004, a-t-il expliqué.
John Lwamba, le directeur du quotidien de Kinshasa, l'Écho des grands lacs a indiqué qu'il suit le travail de la CPI d'un oeil critique.
"Nous critiquons, dans notre analyse, le travail de la Cour, étant donné que la Cour s'occupe uniquement de 'petits poissons', utilisant la RDC comme un cobaye et ignorant tous les autres crimes commis avant juillet 2002," a indiqué Lwamba.
Belhar Mbuyi, le directeur général d'une chaîne de télévision et d'une station de radio basées à Kinshasa surveille avec vigilance la CPI. "Nous faisons une analyse indépendante de cette cour," a-t-il déclaré. "Nous indiquons ses points forts et ses points faibles dans nos éditoriaux."
Sonia Robla, la directrice de l'information du public à la CPI, basée à La Haye, a admis que la Cour doit faire face à une lutte difficile pour générer de la sympathie et du soutien envers son travail au Congo.
Robla a indiqué que la Cour travaille dur pour corriger les diverses erreurs et les fausses idées bien ancrées parmi certains membres de la presse.
"Nous avons organisé une formation [pour] des journalistes et avons régulièrement des réunions avec eux," a-t-elle dit.
A cette fin, la CPI a fait venir un groupe de journalistes congolais de la radio et de la télévision et de la presse écrite à La Haye pour couvrir l'audience de novembre 2006 lors de laquelle les juges avaient confirmé les charges contre Lubanga.
A l'image du pays lui-même, les médias congolais sont tentaculaires et hétérogènes, avec de nombreux quotidiens dans la capitale et des centaines de petites stations de radio éparpillées dans le pays, nombre d'entre elles produisant leurs propres programmes d'actualité.
La Mission des Nations Unies au Congo, MONUC, a une station, Radio Okapi, qui diffuse dans tout le pays, alors que de nombreuses chaînes de télévision, y compris la chaîne nationale Radio-Television Nationale Congolaise, RTNC, ont également une couverture quasi-nationale.
Mais en raison du fait que la presse écrite est virtuellement absente hors de Kinshasa, Madidi a indiqué à l'IWPR que c'est par la radio et la télévision que la plupart des Congolais entendent parler de la CPI.
Pour générer de l'intérêt envers la CPI, des acteurs populaires congolais ont été recrutés pour des sketches qui sont diffusés pour expliquer ce qu'est la CPI, quels sont les droits des accusés et les crimes relevant de la compétence de la Cour.
Cela semble fonctionner. La conscience de l'existence de la Cour est élevée au Congo.
Des sondages de plus de 4 000 personnes conduits à la fin de l'année dernière par la Coalition congolaise pour la CPI ont conclu que 86 pour cent avaient entendu parler de la Cour, et que près de 55 pour cent la considéraient juste et indépendante.
Mais le sondage mené à Kinshasa, Bukavu, Bunia, et ailleurs, a également révélé que la CPI fait toujours l'objet de critiques. Plus de 30 pour cent affirment qu'ils n'aiment pas le rythme lent qui caractérise le travail de la CPI.
"Les Congolais déplorent la lenteur des procédures devant la CPI, qui, en quatre ans d'enquêtes n'a pas rendu un seul jugement," a indiqué un membre de la Coalition congolaise pour la CPI.
La CPI espère apaiser certaines de ces critiques avec le début programmé de son premier procès.
Il n'est pas encore clair, par quel biais la Cour va faire en sorte que la population congolaise, y compris les journalistes, soit informée des procédures en cours à La Haye.
Des retransmissions publiques suivies de discussions sont une option, à l'image de réunion communales interactives, indiquent des responsables de la Cour. Une retransmission en direct du procès dans les locaux de la CPI sur place, a été suggérée, mais en raison d'un accès très limité à l'Internet, cette solution est peu probable.
"Il est important d'amener tout ce qui se passe dans la salle d'audience aussi près que possible des communautés affectées, et les journalistes sont un moyen naturel de transmettre l'information dans le pays," a indiqué Robla. "Pour la Cour, il n'est pas seulement important que justice soit faite, mais aussi que l'on voit que justice est faite."
Désiré-Israel Kazadi est journaliste de l'IWPR à Kinshasa. Lisa Clifford, reporter de justice internationale a contribué à cet article.