Le monde entier a célèbré, le 3 mai 2008, la Journée internationale de la liberté de la Presse. Si le Secrétaire général de l'ONG congolaise Journaliste En Danger (JED), Tshivis Tshivuadi, que nous avons rencontré, annonce, qu'au regard des statistiques, il y a une légère amélioration, en matière de respect de la liberté de la presse en RDC, il pense que cette embellie est l'arbre qui cache le forêt.
INTERVIEW
Pouvez-vous nous faire l'état des lieux de la liberté de la presse en RDC?
Faire l'état des lieux de la presse, c'est considéré des cas réels d'atteinte à la liberté de presse. Au total, nous avons dénombré aujourd'hui une trentaine de cas divers d'atteinte à la liberté de la presse. Il s'agit notamment d'emprisonnements, de menaces de journalistes dans le cadre de leur travail; et sur la trentaine de cas, plus de la moitié concernent les interpellations, notamment des interpellations des journalistes qui ne dépassent pas 48 heures. Pour le reste, ce sont des cas de menaces et de pressions diverses exercées sur les journalistes, et cela sur l'ensemble du pays.
Comparativement aux années précédentes, où à la même période nous avons cumulé une cinquantaine de cas, je pense qu'il y a une sorte d'accalmie. On n'est plus à l'époque de systématisation des interpellations que nous avons connues il y a deux ou trois ans. C'est déjà une bonne chose, c'est même une bonne nouvelle. Mais on se demande ce qui peut bien expliquer cette situation, parce que depuis la mise en place des nouvelles institutions, en réalité, aucune décision; ni juridique ni politique n'a été prise pour renforcer la liberté de la presse et protéger les journalistes. Pourquoi donc cette détente?
Nous, nous avons pu constater que les journalistes abordent de moins en moins des questions qui fâchent, des questions sensibles, que ce soit en ce qui concerne la corruption, parce qu'il y a une sorte de corruption endémique dans ce pays, les détournements des fonds publics, les contrats miniers dont certains sont décriés. Il me semble que c'est par peur des représailles, que les journalistes abordent de moins en moins ces questions qui sont pourtant des questions importantes voire essentielles pour la bonne marche du pays.
N'est ce pas en même temps un recul de la liberté de la presse, si les journalistes font de l'autocensure?
Bien sûr, cela porte atteinte au droit du public à l'information! Parce que si les medias se contentent des informations protocolaires, tels que les conférences de presse et autres, et qu'il n'y a pas d'enquêtes sérieuses sur des sujets brûlants tels que ceux que j'ai évoqués tout à l'heure, il y a problème. Car l'opinion a besoin de savoir ce qui se passe dans ce pays. Les gens ont par exemple besoin de savoir ce qui s'est réellement passé au Bas Congo avec les adeptes de Bundu Dia Kongo. On a parlé de fausses communes. Mais c'est aux medias d'investiguer sur ces questions pour faire éclater la vérité. Est-ce que cela a été fait?
Nous avons le cas d'un journaliste belge qui est allé justement enquêter sur cette question et ce journaliste a été interpelle et gardé pendant plusieurs heures par l'ANR dans ses locaux avant d'être relâchés. C'est dire que lorsque vous abordez des questions sensibles vous pouvez toujours être arrêtés.
Alors, les journalistes ont-ils trouvé la voie la plus facile, c'est-à-dire l'autocensure, pour ne pas aborder ces questions. C'est toute la question. Et à partir de ce moment là il y a une véritable atteinte à la liberté de la presse.
Qu'est qu'il faut donc faire selon vous pour faire renaître la confiance entre les pouvoirs publics qui doivent comprendre que la liberté de la presse est une nécessite dans un régime démocratique et les journalistes?
Il faut d'abord que les medias prennent davantage conscience de leur rôle aujourd'hui. Dans une démocratie, les medias jouent le rôle de contre-pouvoir, de chien de garde de la société, pour dénoncer tout ce qui ne marche pas. Il faudrait que les medias soient conscients de cela. Deuxièmement, la liberté de la presse n'est pas un cadeau qu'on donne aux journalistes; nous avons la constitution de notre pays qui garantit cette liberté, nous avons aussi l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme à laquelle la RDC a adhéré qui garantit aussi cette liberté. Donc, les journalistes doivent pouvoir faire leur travail en toute liberté, tout en respectant la loi, tout comme les pouvoirs publics doivent comprendre que si l'on veut bâtir une démocratie, si l'on veut reconstruire ce pays, il faut absolument compter avec l'apport des médias.
Si le Président de la République dit qu'il va construire ce pays sous le signe de la démocratie, de la bonne gouvernance et des droits de l'Homme, les medias ont forcement un rôle à y jouer et pour cela, il faudrait qu'ils se sentent protéger et sécuriser. Et la première sécurité pour les journalistes, c'est d'abord le cadre juridique dans lequel ils évoluent. Il faut faire en sorte qu'on puisse reformer la loi, en extirpant toutes les dispositions qui empêchent que les journalistes puissent faire correctement leur travail. Les lois que nous avons aujourd'hui datent de l'époque de la dictature de Mobutu. Il y a longtemps que Mobutu est parti, il y a longtemps que ce régime est tombé. Et si l'on veut bâtir une société démocratique, il faut absolument adapter la nouvelle législation au nouveau contexte qui est un contexte démocratique.
Est-ce que ce travail ne revient pas d'abord en premier lieu à la famille des communicateurs?
Nous avons déjà entamé ce travail. On a organisé un atelier qui a regroupé les professionnels des médias, justement pour analyser la loi sur la presse et essayer de proposer la modification des textes de cette loi. Je suis heureux de constater que même le nouveau ministre qui vient d'arriver, a impliqué la profession dans la relecture du projet de texte de loi. Dans ce projet de loi on envisage de pouvoir dépénaliser les délits de presse -même si on ne le dit pas ouvertement- et de surtout redéfinir le concept de la diffamation et de l'imputation dommageable.
Vous savez que dans la loi actuelle, la définition de l'imputation dommageable fait que un journaliste qui est poursuivi pour avoir donné une information quelconque pour dénoncer la corruption par exemple, n'aura jamais raison, parce que le juge ne cherchera pas à savoir si l'information donnée est juste ou fausse, il va simplement voir si l'honneur de la personne qui s'est plainte a été atteinte. Ce qui n'est pas normal.
Donc nous avons proposé que soit redéfini cette infraction qui est la plus répandue ici, et que le juge soit tenu à vérifier la fausseté ou la véracité des faits avancés et non le contraire. C'est déjà une avancée sur la voie de la dépénalisation des délits de presse que nous revendiquons.
Nous pensons aussi qu'il y a un problème important qui est celui de l'accès des journalistes aux sources d'information. Comme vous le savez, la Journée internationale de la presse est placée cette année sous le thème de l'accès des journalistes aux sources d'information, c'est une question importante. On demande aux journalistes de vérifier les informations à la source, mais il n'y a aucune loi qui fait obligation aux sources de donner l'information aux journalistes. Nous avons eu beaucoup de cas ou des journalistes essayant de vérifier l'information à la source ont été arrêtés et bastonnés.
Donc la loi sur l'accès des medias à l'information fera en sorte que les mandataires publics soient contraints de donner l'information aux journalistes et dans le cas contraire qu'ils soient sanctionnés.
Qu'est ce qu'il en est du procès Serge Maheshe, vous qui suivez de très près ce dossier?
Ce procès pour nous tend vers le ridicule. Ça devient une comédie de mauvais goût, parce que nous avons dénoncé beaucoup d'irrégularités dans ce procès, et nous pensons que tous les magistrats en charge de ce dossier se sont totalement disqualifiés. Et ce que nous demandons aujourd'hui, si on veut qu'il y ait la vérité dans ce procès, c'est qu'on puisse le délocaliser, parce le tribunal qui s'occupe de ce dossier n'est plus crédible.
Il y a plusieurs manières d'assurer l'impunité. Il suffit, soit de ne rien faire du tout, soit d'organiser des procès bâclés, et dans le cas d'espèce il n'y a pas eu d'enquêtes sérieuses de faites. Et aujourd'hui, là où nous en sommes, on est en droit de penser que tout est fait pour qu'on ne puisse pas connaître la vérité. Maintenant, la question est celle de savoir, qui a intérêt à ce qu'on ne connaisse pas la vérité sur le mobile du crime et sur les véritables assassins de Serge Maheshe?
Est-ce que vous pensez que les pouvoirs publics prendront en compte cette demande de délocalisation du procès?
Il faudrait que tout le monde se mobilise pour que cela puisse être possible, parce qu'il est clair qu'aujourd'hui personne ne peut accepter le verdict qui pourrait sortir de ce tribunal, parce que tout ceux qui ont conduit le dossier se sont totalement disqualifiés.
Alors si on veut la vérité, il faudrait qu'on en arrive à cette solution. Les avocats qui sont en charge du dossier peuvent faire cette demande, tout comme nous, en tant que organisations de défense des droits de l'Homme, devrons nous mobiliser pour rendre cette demande possible.
Un message particulier par rapport à cette journée?
Je pense qu'il est temps que tout le monde comprenne que dans un pays qui se veut démocratique, les medias ont un rôle important à jouer. Qu'on ne prône pas simplement cette liberté dans la constitution, mais qu'on le traduise aussi dans les actes, à travers la protection des journalistes, par une meilleure prise en charge des questions qui touchent à leur profession.
Aujourd'hui notre presse connaît beaucoup de difficultés. Et au delà des problèmes de pauvreté des entreprises de presse, il faudrait mettre sur pied un cadre qui sécurise les journalistes et qui puisse leur permettre de créer des véritables entreprises de presse. En même temps nous disons aux journalistes d'être conscients du rôle qu'ils ont à jouer dans la société, et qu'ils doivent le faire sérieusement et professionnellement, en respectant la loi, surtout le code d'éthique et de déontologie qui est le code d'honneur des journalistes.