Coup d’éclat politique. Alors qu’il était attendu de pied ferme à l’Assemblée nationale, le Premier ministre, Antoine Gizenga, dans un style politique élégant, mûr, a déjoué tous les pronostics. Il a remis sa démission hier jeudi, dans l’avant-midi, au Président de la République, et ce en qualité de Premier ministre et chef du gouvernement. Raison évoquée : les limites du corps physique. Belle sortie honorable.
Le Premier ministre, Antoine Gizenga Fundji, a démissionné de son poste de Premier ministre et de chef du gouvernement. Il a posé officiellement cet acte dans une lettre adressée et remise au président de la République, Joseph Kabila.
Immédiatement, après s’être entretenu avec le chef de l’Etat, il s’est adressé à la Nation pour rendre publique la raison principale de sa démission. Il a commencé par rappeler son parcours politique en soulignant qu’il est au service de son pays pendant plus de cinquante ans. Mais il a fini par reconnaître que «pour tout homme, même si l’esprit peut encore être sain et alerte, le corps physique à ses limites dont il convient de tenir compte». L’exercice politique a fini par avoir raison de son âge et de sa condition physique. Aussi, a-t-il estimé bon de passer la main en souhaitant un meilleur devenir à la République démocratique du Congo et au peuple congolais : «La tâche est immense, car le fossé de la régression, dans lequel était tombé le pays est très profond. Toutefois, on peut aujourd’hui affirmer que le pays commence à reprendre le bon cap et à connaître une vraie dynamique de redressement et de refondation. Il faut tenir bon et avancer avec détermination ».
Un discours de prise en retraite politique assimilé à un testament pour les générations futures. Ses recommandations, après un demi-siècle de lutte pour la cause nationale et plus de six cents jours d’exercice des fonctions de Premier ministre, sur l’unité du pays, la cohésion sociale, la bonne gouvernance, sont là autant de messages qui demeureront toujours d’actualité dans cet élan de refondation de la République démocratique du Congo. Ainsi, Antoine Gizenga s’en va, en sortant par la grande porte. De façon honorable.
LES PRESCRITS DE LA CONSTITUTION
Que va-t-il se passer maintenant, aujourd’hui que le Premier ministre a démissionné pour des raisons de convenance personnelle ? En réponse à cette interrogation, l’article 78 de la Constitution stipule : «Le président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement. Si une telle majorité n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition. La mission d’information est de trente jours renouvelables une fois. Le président de la République nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions sur proposition du Premier ministre».
Dans ce cas d’espèce, l’on ne se trouve pas devant une situation d’empêchement, moins encore d’une motion de censure. Le Premier ministre a démissionné de son propre gré du poste de premier ministre et chef de gouvernement. Antoine Gizenga a remis au chef de l’Etat «sa propre démission et non celle de son gouvernement». La Constitution est muette devant ce cas de figure.
Ce qui amène à extrapoler pour évoquer l’article 90 de la Constitution : «Le Gouvernement est composé du Premier ministre, de ministres, de vice-ministres et le cas échéant de vice-Premier ministres, de ministres d’Etat et de ministres délégués. Il est dirigé par le Premier ministre, chef du gouvernement. En cas d’empêchement, son intérim est assuré par le membre du Gouvernement qui a la préséance. La composition du gouvernement tient compte de la représentation nationale. Avant d’entrer en fonction, le Premier ministre présente à l’Assemblée nationale le programme du Gouvernement. Lorsque ce programme est approuvé à la majorité absolue des membres qui composent l’Assemblée nationale, celle-ci investit le Gouvernement».
En s’appuyant sur une simple analyse par absurde, l’on déduit qu’avec cette démission du Premier ministre, tout le gouvernement est réputé démissionnaire. Par voie de conséquence, et si la majorité parlementaire existe, le chef de l’Etat devra nommer un autre Premier ministre sur proposition de cette majorité et non un « informateur». Entre-temps, le gouvernement Gizenga continuera à assurer les affaires courantes.
CONSEQUENCES POLITIQUES
La première hypothèse, tiendrait du fait qu’Antoine Gizenga n’a pas été proposé Premier ministre par la majorité parlementaire mais bien par la coalition «PPRD-PALU-UDEMO ». Celle qui avec les autres partis politiques forment l’Alliance de la majorité présidentielle, AMP. Le successeur de Gizenga sera-t-il issu de la coalition ou de la majorité parlementaire ? Gizenga parti, l’élection présidentielle qui a favorisé la signature de cet accord pour donner naissance à cette coalition ayant déjà eu lieu, l’on craint fort que les conditions d’hier ne soient encore d’actualité. En outre, pour ne pas violer la Constitution, le président de la République nommera le Premier ministre issu de la « majorité parlementaire».
Il va de soi que si la coalition est menacée, l’ AMP le sera aussi avec des effets d’entraînement négatifs sur la majorité parlementaire. Ce qui pourrait gêner la constitution rapide d’un nouveau gouvernement.
LA RADIO-TROTTOIR
En pareilles circonstances, les rumeurs vont souvent bon train, chacun y allant de son commentaire sur la démission de Gizenga. Bien sûr que ces rumeurs sont à prendre avec des pincettes.
Aussi, se dit-il que le Premier ministre aurait démissionné à la suite du mauvais comportement de certains de ses ministres qui se seraient illustrés dans la mauvaise gestion. Particulièrement dans la signature des contrats léonins. Pour ne pas se faire éclabousser, il a préféré déposer sa démission et non celle de son gouvernement, livrant en quelque sorte en pâture ses collaborateurs.
Ce qui explique que dans son adresse au peuple congolais, il n’a réservé aucune ligne à ses ministres. Il a remercié seulement le président de la République, pour la confiance témoignée en lui, le Parlement au regard de la courtoisie en sa personne, et le pouvoir judiciaire à travers cette reconnaissance après cette visite du président de la Cour suprême de justice.
La rumeur insiste également sur les derniers propos du président de l’Assemblée nationale à son endroit. C’est-à-dire qu’il n’était plus à l’abri d’une motion d’interpellation ou d’une motion de censure. Pour éviter d’être traîné dans la boue, le Premier ministre Antoine Gizenga a préféré anticiper les choses en démissionnant.
Dans le même ordre d’idées, il nous revient que le Premier ministre aurait proposé une liste portant remaniement de l’équipe gouvernementale au président de la République. Dans cette liste, 6 ministres et 3 vice-ministres devraient être démis de leurs fonctions pour incompétence et mauvaise gestion. Cette liste n’aurait pas rencontré l’approbation de l’entourage du chef de l’Etat pour autant qu’elle reprenait les noms des «intouchables».
Mais que d’autre part, ce départ aurait été convenu avec le président de la République. En échange, un de Palu devrait succéder au patriarche Gizenga à la Primature.
Enfin, la dernière nomination des membres de la Territoriale aurait surpris le Premier ministre partant. Il n’aurait été ni consulté et le Palu ne s’y retrouve pas. Ce serait goutte d’eau qui aurait fait déborder le vase. D’où la démission.