BUNIA, le 12 avril (IRIN) - Le programme de désarmement de la Mission des nations unies pour la République démocratique du Congo (MONUC) a permis de confier près de 3 000 mineurs aux agences de protection de l'enfance présentes dans la région nord-orientale de l'Ituri.
Ces agences font tout ce qu'elles peuvent pour réinsérer les enfants soldats dans la société, mais pour certains enfants, la réinsertion se passe mal.
"Dans la milice, on fumait et tuait. Ca ne me gênait pas de voir les autres miliciens tuer des gens. J'étais convaincu qu'ils avaient de bonnes raisons de les tuer", explique un ex-milicien de 15 ans rencontré dans le centre de réinsertion pour enfant de Bunia, la capitale de la région de l'Ituri.
Selon Massimo Nicoletti-Altimari, chef du bureau du Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) à Bunia, de nombreux mineurs ont été contraints de travailler comme porteurs, cuisiniers, nettoyeurs ou espions et "ont souvent été victimes d'agressions psychologiques, verbales et physiques".
Officiellement, ces mineurs ne sont pas d'anciens enfants soldats, mais des "enfants travaillant pour le compte de groupes armés". A ce titre, ils reçoivent un traitement particulier dès leur arrivée au centre de désarmement. Après avoir été enregistrés, ils sont séparés des miliciens adultes et rendus rapidement à leurs familles, bien que cela soit parfois assez difficile.
"Il est parfois impossible de retrouver les parents des anciens enfants soldats en raison du manque de moyens de communication et des problèmes sécuritaires actuels dans l'Ituri", a expliqué Bienvenue Panda, agent de protection de l'UNICEF à Bunia.
Bien souvent, les parents ont quitté leur village pour la ville ou pour les camps de personnes déplacées à l'intérieur du pays.
Quelle vie après un rapt ?
L'histoire de la jeune Anna, 14 ans est semblable à celle de nombreuses jeunes filles kidnappées par les miliciens. Elle a raconté à IRIN comment elle en est devenue prostituée.
"J'ai été kidnappée par des miliciens et j'ai pris l'habitude de vivre avec eux", raconte Anna. "A 12 ans, je devais leur faire à manger. Lorsque les troupes étrangères sont arrivées, je les ai quittés".
Et parce qu'elle ne peut pas retourner dans sa famille, elle survit maintenant en s'adonnant à la prostitution, explique-t-elle.
"Ma famille habite très loin et je vis avec ma pauvre grand-mère. Je survis avec d'autres enfants dans le centre ville de Bunia", ajoute-t-elle.
Selon l'UNICEF, ces filles sont souvent violées lorsqu'elles sont kidnappées par les miliciens, ce qui les rend vulnérables aux infections au VIH, aux maladies sexuellement transmissibles et aux risques de grossesse.
Fin mars 2005, seuls 1 500 parmi les enfants recensés par l'UNICEF ont retrouvé leurs parents. Il s'agit principalement d'enfants originaires de villages situés à proximité des centres de désarmement.
Les autres ont été confiés à des centres d'orientation et de transit pour enfants (CTO) gérés par des organisations non-gouvernementales avec l'appui de l'UNICEF. Ils y sont hébergés, nourris et scolarisés.
"Pour les enfants originaires de régions très reculées, le taux de réussite dans la recherche des familles n'est que de 10 pour cent. Certains mineurs sont restés dans les CTO pendant six mois" précise Panda, et il arrive que des familles refusent même de reprendre leurs enfants.
"Certains enfants sont rejetés parce qu'ils sont violents et maltraitent leurs parents", explique Panda. "Même leur langage est agressif et les menaces de mort proférées contre leurs parents sont une banalité pour eux".
Charles, 17 ans, recruté par la puissante milice Hema, l'Union des patriotes Congolais, vit désormais dans un CTO géré par Caritas, une agence humanitaire catholique implantée à Bunia.
"On ne tuait pas pour le plaisir de tuer, mais pour nous venger uniquement", explique-t-il.
Pour lui, il se sentait plus en sécurité en étant avec les amis miliciens que dans son village qui a été attaqué à plusieurs reprises.
Contrairement aux combattants adultes, il n'est pas demandé aux enfants soldats de restituer leurs armes, s'ils veulent bénéficier des avantages du programme de réinsertion proposé aux milices ayant abandonné la lutte armée.
Chaque enfant reçoit un trousseau comprenant une chemise, des pantalons, une natte, une couverture et des accessoires de toilette.
Selon l'UNICEF, "la fourniture de vêtements civils est un aspect important du processus de réinsertion, puisque la plupart des enfants arrivent au centre de désarmement en tenue militaire". Le port de vêtements civils peut les aider à oublier leur passé.
David, 12 ans, est aussi un ancien enfant soldat. Il est hébergé au CTO de Caritas à Bunia. "Les miliciens avaient menacé de tuer mes parents s'ils ne me laissaient pas rejoindre leur rang. Mes frères ont aussi été contraints de rejoindre la milice, mais l'un d'eux a été tué. Je hais les miliciens", a-t-il confié à IRIN
Des programmes de soutien pour la réinsertion
La réinsertion de ces enfants maltraités nécessite un soutien psychologique et beaucoup de patience.
Selon l'UNICEF, la plupart des enfants souhaitent rentrer chez eux et retourner à l'école, mais de nombreux enfants qui refusent aussi de rejoindre leurs parents.
"Un jeune enfant que nous avons démobilisé s'est mis à pleurer, se demandant ce qu'il allait devenir sans sa famille, la milice. Il avait été enrôlé dans la milice des Forces armées du peuple congolais depuis un an, mais auparavant, il avait servi au sein de plusieurs autres milices", explique Panda.
Selon Jean-Paul Dhelo, psychologue chez Caritas, il faut veiller à ce que les enfants ne soient plus maltraités.
"Les parents et les familles d'accueil ont signé un document dans lequel ils s'engagent à veiller à ce que les enfants ne soient pas enrôlés de nouveau dans les milices et à respecter les droits des enfants", explique Dhelo. "Nous suivons de près l'évolution de ces enfants", a t-il ajouté.
Malgré les efforts déployés par les travailleurs humanitaires pour réinsérer les enfants soldats dans la société, la réinsertion de certains enfants se passe mal.
"Il est vrai que parmi les jeunes filles violées, bon nombre d'entre elles finissent dans la rue et se prostituent", explique Panda.
Certains enfants basculent dans la criminalité
Edouard, 17 ans, servait de garde du corps à une personnalité locale importante et combattait au sein d'une milice appuyée par des forces étrangères.
"Je me souviens des combats sanglants de Chai, Marabo et Peka qui ont duré trois jours. J'y ai perdu tous mes amis, mais j'ai tué plusieurs personnes", explique Edouard.
"A l'arrivée des forces de la MONUC, je me suis enfui. Je me suis caché pendant plusieurs mois pour que mon chef ne me retrouve pas", a-t-il ajouté.
Edouard a été placé dans une famille d'accueil à Saio, un quartier de Bunia, mais de nombreux résidents ont maintenant peur de lui.
"Il a rejoint un groupe de bandits armés ; il sort généralement le soir et ne rentre qu'au petit matin", explique Francis qui a été un des meilleurs amis d'Edouard.
Papa Hadji, le père adoptif d'Edouard, se souvient du jour où des jeunes du quartier ont battu son fils parce qu'il avait commis un vol. "Les miliciens sont intervenus rapidement pour le libérer", explique Hadji.
Selon Hadji, Edouard "est un réel danger public" ; mais pour Edouard, ses actions sont un combat pour la survie. Lorsqu'il aura gagné suffisamment d'argent, il envisage d'arrêter de voler et de devenir mécanicien.
"Dans ma nouvelle famille, tout le monde se bat pour se procurer de la nourriture. J'ai besoin de 30 dollars pour démarrer un petit commerce de vente de cigarettes" conclut Edouard.
[Note de la rédaction : Tous les noms de mineur figurant dans cet article sont fictifs afin de protéger la réelle identité des enfants]