Dans la seule province du Nord Kivu, épicentre d'une crise sécuritaire majeure, le bras de fer et les combats entre les forces gouvernementales et les groupes armés récalcitrants au brassage et à la démobilisation, en particulier celui de Laurent Nkunda a jeté sur les routes près d'un demi million de personnes. En ce début 2008, tous les regards sont tournés vers Goma, ou s'ouvre dans quelques jours la Conférence de l'Espoir.
Dans le retour au chaos, les défis complexes de la protection des civils
Pour les populations de l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), en particulier celles des deux Kivu - provinces parmi les plus meurtries par la longue décennie de conflit qui a ravagé la RDC, avec la région de l’Ituri - 2007 qui était synonyme d’immenses espoirs de paix, de sécurité et de développement ne fut pourtant qu’une année noire d’espoirs déçus et de grandes souffrances.
Le bilan humanitaire de l’année écoulée pour la seule province du Nord Kivu, épicentre de la crise, est apocalyptique. Depuis le début de l’année, mais en particulier depuis la fin du mois d’août, les combats opposant les forces de l’armée gouvernementale (FARDC) et les dissidents de Laurent Nkunda, mais aussi ces derniers et d’autres groupes armés locaux et étrangers, ont jeté sur les routes plus de 430.000 civils, ce qui porte le nombre total de déplacés internes dans la province à quelque 800.000 personnes.
Au cours de l’année 2007, au Nord, mais aussi au Sud Kivu, les violations des droits de l’Homme ont repris une ampleur égale à celles perpétrées pendant les moments les plus durs de la guerre, s’illustrant par de multiples attaques contre les populations civiles, l’utilisation de ces dernières comme boucliers humains, des viols de milliers des femmes et des filles, le recrutement et re recrutement forcé de centaines voire de milliers d’enfants par les groupes armés, des exécutions sommaires, arrestations arbitraires, instrumentalisations et exacerbations de tensions inter communautaires et ethniques.
Pour la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC) et la communauté humanitaire, l’année 2007, ne fut, dans cette région du pays, qu’une succession de défis de plus en plus complexes en termes de protection des populations civiles, de satisfaction des besoins de plus en plus grands d’assistance humanitaire, de dénonciations et de pressions pour tenter mettre fin aux exactions et assurer le respect du droit international humanitaire, de recherche de solutions pacifiques à la crise et de plaidoyer en vue d’une mobilisation internationale pour empêcher la région des Grands Lacs toute entière de replonger dans le chaos de la décennie précédente.
Chronique d’une crise annoncée
Pour rappel, les premières secousses annonciatrices d’une nouvelle crise à l’Est du pays sont apparues dès la fin de l’année 2006, au lendemain de l’annonce des résultats des élections présidentielles, législatives et provinciales. La défaite cinglante, dans son bastion - le Nord Kivu - au profit de l’alliance kabiliste, dite Alliance pour la Majorité Présidentielle (AMP), du parti du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), ancien allié du Rwanda pendant les années de guerre, et la perte totale des commandes de la province par ce parti au terme des élections, eu pour effet immédiat de raviver la méfiance entre les partisans de deux anciennes forces belligérantes.
Dans les Kivu, le retard qu’accusait alors le processus d’intégration dans l’armée nationale unifiée, ainsi que le règlement de la problématique de la présence des groupes armés étrangers, en particulier des combattants hutu rwandais (estimés entre 4000 et 6000), importante pomme de discorde avec le Rwanda voisin, constituaient en outre une véritable bombe à retardement.
Dans ce contexte explosif, une étincelle suffit à raviver le feu des armes et à mettre fin à la trêve relative observée pendant la période électorale. En décembre 2006, Laurent Nkunda, général déchu de l’armée congolaise (FARDC), se posant en défenseur de la communauté tutsi, qu’il estimait menacée d’un nouveau génocide par les combattants hutu rwandais toujours présents sur le sol congolais, anticipant la demande, par les nouvelles autorités du pays à tous les groupes armés encore «en dissidence» de déposer les armes et de choisir entre leur intégration dans l’armée nationale unifiée ou la démobilisation.
Coup de force des groupes armés et tentative de solution négociée
Défiant une armée nationale toujours en construction et les 3.500 Casques bleus de la MONUC alors déployés au Nord Kivu, Laurent Nkunda avec ses troupes, (estimées à l’époque entre 3.000 et 4.000 hommes), marcha sur Goma. Par cette démonstration de force militaire, le général renégat comptait mettre les nouvelles autorités en demeure de désarmer immédiatement les combattants hutu rwandais ex FAR/Interhamwe toujours présents à l’Est du Congo, conditionnant à leur désarmement l’intégration de ses troupes dans une armée qu’il jugeait incapable de protéger sa communauté d’un nouveau génocide.
Les troupes de Laurent Nkunda furent arrêtées dans leur tentative d’assaut sur Goma par les Casques bleus de la MONUC et leurs hélicoptères de combat, agissant en vertu du Chapitre VII. Le coup de force des dissidents, avait cependant entraîné dans son sillage, en moins d’une semaine, le déplacement de dizaines de milliers de civils.
En janvier 2007, une tentative de règlement de la crise fut initiée par les autorités congolaises. Il fut proposé à Laurent Nkunda une intégration progressive de ses troupes dans l’armée, en accordant à ces dernières une période «d’établissement de la confiance» au cours de laquelle, elles pourraient rester basées au Nord Kivu, en étant «mixées» sur place avec des troupes de l’armée congolaise loyales au Gouvernement, non encore brassées, elles non plus. Ces «Brigades mixées», pendant cette période transitoire, dont la durée n’était pas définie, étaient censées mettre cette période à profit pour mener des opérations militaires contre les combattants hutu rwandais.
L’Echec du mixage et ses conséquences humanitaires dramatiques
L’expérience dite du mixage ne dura que quelques mois et fut un échec. En dépit du fait que les troupes «mixées» étaient rassemblées sous le commandement de la hiérarchie des FARDC, Laurent Nkunda continua à exercer l’autorité sur ses hommes, s’ingérant constamment dans la chaîne de commandement des Brigades mixées, décidant unilatéralement d’actions à entreprendre par ses troupes contre les combattants hutu rwandais.
Il continua en outre à recruter massivement, à l’Est du Congo mais aussi au Rwanda, y compris des mineurs, par centaines, dont de nombreux par la force dans des zones sous influence de son mouvement politico-militaire, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). Nkunda continua en outre à appuyer et à former une milice distincte, tout en mettant sur pied une administration civile parallèle, y compris des forces de police, toujours dans les régions sous son contrôle.
Les opérations lancées par contre les rebelles hutu rwandais, dans des zones à forte concentration de populations hutu, en particulier dans le territoire de Rutshuru, entraînèrent des déplacements massifs de populations. Ces opérations s’accompagnèrent de graves exactions contre les civils, qui étaient souvent suspectés par les militaires des brigades «mixées» fournis par Laurent Nkunda de collaboration avec les combattants hutu rwandais.
Les combattants hutu rwandais, soutenus par des groupes Mai Mai récalcitrants au brassage, multiplièrent les actes de vengeance, et attaquèrent non seulement les troupes de Laurent Nkunda mais également les civils. Les tensions ethniques s’exacerbèrent dans la province. En mai, le Gouvernement déclarait la fin du mixage, et appelait au brassage de toutes les Brigades mixtes tout en annonçant le déploiement de Brigades intégrées pour les remplacer.
Le Gouvernement lançait également un appel immédiat à intégrer le brassage ou à la démobilisation, à tous les autres combattants de groupes armés congolais encore en dissidence dans les Kivu et exhortait une fois de plus les combattants hutu rwandais à désarmer et à quitter la RDC. Les Brigades mixées se désintégrèrent, et fin août, les éléments de Laurent Nkunda commencèrent à attaquer les forces gouvernementales, qui furent massivement renforcées dans la province (elles comptent aujourd’hui près de 25.000 hommes).
En dépit des nombreux appels au cessez le feu lancés par la MONUC, dont la force des Casques bleus fut également renforcée, et portée à 4.500 hommes, et des appels répétés de cette dernière, du Conseil de sécurité et de nombreux autres acteurs internationaux aux groupes armés pour qu’ils déposent les armes, les combats se poursuivirent, entre les forces gouvernementales, qui, appuyées par la MONUC, tentaient de rétablir l’autorité de l’Etat, et les forces dissidentes qui continuaient de provoquer ces dernières en tentant de prendre de nouvelles positions stratégiques dans la province.
Les affrontements entre ces derniers et d’autres groupes armés, principalement Mai Mai et combattants hutu rwandais, se multiplièrent également. Mi décembre, après avoir repris plusieurs positions importantes des dissidents, l’armée congolaise connu des revers importants, qui montrèrent les limites de la seule option militaire pour une armée encore fragile, dépourvue de cohésion, souvent mal encadrée et indisciplinée, sur un terrain complexe, face des groupes armés opérant avec des tactiques éprouvées de guérilla.
Rétablir la confiance: le défi de 2008
Si l’année 2007 fut une année noire pour les populations des deux Kivu, elle se termine cependant sur une importante note d’espoir. En effet, d’intenses efforts diplomatiques et politiques, entrepris ces derniers mois semblent porteurs de pistes de solutions pacifiques à la crise actuelle, qui bénéficient d’un fort appui de l’ONU et de différents groupes régionaux et gouvernements, dont celui des Etats-Unis.
En marge d’une importante réunion sécuritaire régionale (dite Tripartite +), tenue à Nairobi (Kenya), le 9 novembre dernier, et facilitée par l’ONU et de nombreux autres acteurs internationaux, la RDC et le Rwanda, dans un communiqué conjoint, ont décidé d’une approche commune visant à mettre fin à la menace que faisait peser sur la sécurité des deux pays et de toute la région, les groupes étrangers et nationaux en RDC et leurs organisations politico-militaires.
Kinshasa s’est engagé à traquer les rebelles hutu rwandais présents sur son sol et a présenté un plan pour neutraliser ces miliciens. De son côté, Kigali s’est engagé à s’abstenir de tout soutien à un groupe armé en RDC, en particulier celui de Laurent Nkunda. Depuis lors, un mécanisme de suivi de la mise en œuvre des dispositions de ce communiqué à été mis en place, fortement soutenu par la communauté internationale.
Sur le terrain, une trêve semble être observée depuis l’annonce, le 21 décembre dernier, par le Gouvernement congolais, à l’initiative du Président Kabila, de la tenue imminente, à Goma, de la Conférence sur la Paix, la Sécurité et le Développement dans les Kivu. Les Nations Unies, en particulier la MONUC, apportent un soutien important à ce processus, ainsi que nombre d’autres acteurs extérieurs, organisations régionales et pays amis de la RDC.
La Conférence, qui doit s’ouvrir le 6 janvier 2008, a pour objectif ambitieux de mettre un terme à la guerre et à l’insécurité dans les Kivu. Elle a également pour but de jeter les bases d’une paix durable et d’un développement intégral dans ces deux provinces, d’en mobiliser toutes les forces vives à la cause de la paix, mais aussi - et c’est sans aucun doute l’un des défis les plus importants à relever - de dissiper les peurs, les méfiances réciproques, les suspicions, les frustrations et les colères entre les fils et les filles du Nord et du Sud Kivu, afin établir les bases d’une véritable réconciliation entre ces derniers.