Les députés intervenus à l'Assemblée nationale sur l'affaire Bundu dia Kongo ont étalé des clivages tels qu'il sera difficile de dégager une option exhaustive sur la controverse autour des revendications sociales à la base de la crise examinée et de l'usage de la force par le pouvoir.
Du choc des idées jaillit la lumière, dit-on. Les premiers traits de lumière se sont effectivement fait jour après les plénières de mercredi et jeudi sur le feuilleton Bundu dia Kongo. Déjà première note donnée mercredi par l'auteur de la question orale jusqu'aux différentes interventions des députés qui ont défilé à la tribune de la Chambre basse, en passant par l'exposé du ministre d'Etat chargé de l'Intérieur, Décentralisation et Sécurité et la réplique de Ne Muanda Nsemi. Il se dégage une chose : les députés, presque dans leur ensemble, sont d'accord sur le fond?
Il est vrai que les avis ont, par moments, divergé sur certains aspects. Des divergences qui ne sont pas évidemment des moindres. Depuis mercredi, en fait, beaucoup de choses ont été dites. Par moments aussi, le ton est monté de plusieurs crans, comme lors de la plénière de jeudi avant que les esprits ne se calment.
« Les revendications, sociales notamment, sur lesquelles s'appuie BDK sont fondées. Non seulement les Ne Kongo, mais aussi les compatriotes d'autres provinces se reconnaissent à travers ces revendications surtout qu'elles ramassent des problèmes qui ne sont pas l'apanage de seuls bakongo », ont fait valoir bon nombre de députés.
« C'est au niveau de la présentation ou de la défense de ces revendications qu'il y a problème en ce que la violence, l'intolérance et la non acceptation de l'autre s'y sont fait inviter », ont-ils noté, avant de mettre en avant ce qu'ils considèrent comme la cause première de cette dramatique situation. « C'est surtout au niveau de l'opération de restauration de l'autorité ou de rétablissement de l'ordre public qu'il y a eu usage disproportionné de la force, entraînant mort d'hommes dans la province du Bas-Congo ».
Dans tous les cas, au-delà des déclarations faites par les uns et les autres, l'Assemblée nationale doit jouer serré pour faire jaillir la lumière - toute la lumière - dans cette affaire de BDK et de morts à répétition dans le Bas-Congo et trouver des pistes de sortie idoines dans un feuilleton où subsistent encore à ce stade plusieurs zones d'ombre et pas mal d'interrogations.
La plénière de jeudi 27 mars 2008 a été consacrée uniquement aux débats. Les députés, chacun en ce qui le concerne, ont donné leur son de cloche par rapport à la question orale avec débat adressée au ministre d'Etat en charge de l'Intérieur, Décentralisation et Sécurité par le député Gilbert Kiakwama kia Kiziki sur les événements tragiques qui se sont déroulés dans la province du Bas-Congo. C'est l'auteur de la question orale qui a ouvert les débats.
Voix libre à tous
Dans son intervention, Gilbert Kiakwama kia Kiziki a déclaré : « Ce qui nous réunit aujourd'hui, c'est d'abord une série de faits délictueux et criminels. Ces crimes et délits ont eu lieu dans le territoire de Luozi. Il n'est pas prouvé que leur nombre ait connu une augmentation ou une aggravation significative dans les mois écoulés. Où sont les statistiques que tiennent la police et les services de renseignement ? ».
Pourtant, à entendre différents médias, a-t-il indiqué, « c'est à une vague de criminalité sans précédent au Congo que l'on assistait dans ce coin oublié de la République ».
Les crimes et délits dont nous avons reçu l'écho, a-t-il ajouté, ont été unanimement condamnés et personne ici ne contestera que l'auteur présumé d'un viol ou d'une agression caractérisée doit être arrêté et présenté à la justice. L'opération à mener devait donc, d'abord et avant tout, être une opération de police. Une opération de police normale, a-t-il précisé.
Dans tous les cas, pour le député Kiakwama kia Kiziki, une telle opération implique « la collecte des renseignements, l'identification des auteurs présumés, l'arrestation des suspects, dans le respect de leurs droits, la présentation à la justice des prévenus et des éléments de preuve matériels réunis pendant une enquête à charge et à décharge, permettant ou non de les condamner ».
Or, à entendre les réponses de l'homme que sous d'autres cieux on appelle le premier policier de la République, le ministre de l'Intérieur, aucun de ces aspects essentiels du travail policier n'a été accompli?, a déploré l'auteur de la question orale.
Pour le député Alex Kande (MLC), cette question orale est d'une importance capitale. « En effet, a-t-il fait prévaloir, face au nombre de morts de nos concitoyens, il était du devoir de l'Assemblée nationale de se saisir du dossier et d'obtenir des explications du gouvernement ».
Il estime que, pour mieux rechercher les solutions à ce problème provenant des frustrations d'un peuple, il faudrait dépassionner les débats. D'un côté, soutient-il, « il faut trouver les voies et moyens efficaces pour restaurer l'autorité de l'Etat sur l'ensemble du pays et ainsi sécuriser toute la population ». De l'autre côté, a-t-il ajouté, il faut absolument que les droits de l'homme soient respectés à tous les niveaux et que les problèmes posés par le BDK soient froidement examinés.
Car, ils se posent dans d'autres provinces, a-t-il avisé. « Nous attendons donc que les débats à l'Assemblée nationale débouchent sur des recommandations claires au gouvernement aussi bien sur les revendications du BDK qui s'extrapolent dans d'autres provinces que sur l'autorité de l'Etat », a suggéré le député du MLC.
Président du Groupe parlementaire des indépendants (GPI), Kin-Kiey Mulumba a, de son côté, indiqué que les débats n'étaient qu'à mi-parcours.
« Je ne sais pas si on est à mi-parcours des débats ou si on est à 20% des débats. Mais tout ce que je peux dire est que jusque là tout se passe bien.
C'est-à-dire qu'à la Conférence des présidents, nous avions demandé que Ne Muanda Nsemi vienne d'abord à la Conférence des présidents pour être écouté. Ce n'est qu'après que le ministre de l'Intérieur pouvait venir intervenir. Manifestement, on a voulu offrir cette tribune à la fois au ministre d'Etat dont on a entendu beaucoup de choses et à Ne Muanda Nsemi qui est un gourou ».
D'après Kin-Kiey Mulumba, Ne Muanda Nsemi a malheureusement « utilisé le pupitre pour plutôt faire sa propagande ». « Il ne s'est pas adressé à la plénière, mais plutôt à ses partisans », a-t-il noté. « Cela me paraît assez dangereux quand il s'agit des questions d'Etat », a-t-il fait remarquer.
Avant d'ajouter qu'au GPI, on estime que « des débats à l'Assemblée nationale doivent porter sur les valeurs qui fondent la République ». « Est-ce que nous partageons les mêmes valeurs ? Est-ce que nous cheminons ensemble vers l'objectif que nous nous sommes assignés ?
C'est-à-dire le bonheur, la République? », s'est demandé le président de GPI. « Je pense que les débats doivent être recentrés au niveau de la défense des valeurs de l'intégrité territoriale qui permettent à chacun de vivre où il veut », s'est-il défendu.
Dans tous les cas, il est d'avis que « BDK constitue un danger pour nos valeurs ». « Nous devons le dire clairement mais nous ne devons pas naturellement faire l'apologie de la force, l'usage excessif de la force, ni la faire triompher. Il est clair que la force doit rester à la loi et chacun de nous doit être respectueux de la loi qui fonde la République », a-t-il soutenu.
Pour sa part, Roger Lumbala, président de l'ODR, s'est montré catégorique dans sa réaction. « Je crois, a-t-il déclaré, que les revendications de Ne Muanda Nsemi sont fondées. Parce qu'elles ont pour base le social ». Ces revendications sont reconnues par tous les Ne Kongo de toutes les formations politiques qui se retrouvent au niveau de l'Assemblée nationale, sauf quelques-uns qui s'y opposent au nom des intérêts personnels, a-t-il affirmé.
Et de poursuivre : « En suivant ce qui s'est passé, nous pensons que Ne Muanda Nsemi n'est pas responsable de ce qui est arrivé dans le Bas-Congo quand bien même il est chef spirituel du BDK. Il n'est pas responsable des actes posés par les adeptes de son mouvement spirituel ».
Gare à l'envoi de BDK dans la clandestinité
« Nous avons intérêt à garder Ne Muanda Nsemi dans l'hémicycle et à lui redonner son agrément de sorte qu'il ne puisse pas se retrouver pas dans la clandestinité avec ses adeptes », a fait savoir le député Roger Lumbala. Au cas contraire, il craint que Ne Muanda Nserni, contraint à la clandestinité, ne finisse par prendre les armes.
S'exprimant au sujet des événements du Bas-Congo, de l'intervention du ministre de l'Intérieur et de la réplique de Ne Muanda Nsemi, le député Jean-Claude Mvuemba ne s'est pas embarrassé de circonlocutions. « On a eu deux panneaux hier », a-t-il lancé avant d'expliciter : « Un panneau de la vérité et un panneau du mensonge, de la haine, du sang ».
Pour le député de Kasangulu, « la vérité, c'est Ne Muanda Nsemi ». « Il vous a tout dit et expliqué noir sur blanc ». « L'autre camp, a-t-il relevé, c'est le général Kalume, toujours dans les cachotteries, niaiseries inutiles. Tout ça pour nous sortir un montage d'images. C'est triste parce qu'il y a des gens qui meurent. A quoi bon mentir dès lors qu'on n'a pas envoyé des policiers dans le Bas-Congo, mais des militaires? Vous savez que le général Kalume a affirmé qu'il y a eu 37 morts, soyons sérieux. Il y a eu 37 morts à Seke-Banza, 67 morts à Sumbi, 85 morts à Luozi?
1er vice-président du Groupe parlementaire MLC, le député Thomas Luhaka s'est, de son côté, exprimé en ces termes : « En notre qualité de républicains, nous sommes pour le rétablissement de l'autorité de l'Etat. Cette mission est confiée à la police par notre Constitution. Mais nous avons des remarques et observations à faire par rapport aux actions qui ont été menées dans le Bas-Congo. La première porte sue ce que je qualifie de communautarisation des infractions pendant que les responsabilités pénales sont d'ailleurs individuelles ». « La deuxième remarque, a-t-il indiqué, porte sur les moyens mis en ?uvre. La manière dont les opérations ont été menées dans le Bas-Congo démontrent à suffisance qu'il y a eu utilisation disproportionnelle et abusive de la force pan rapport aux objectifs recherchés ».
Troisièmement, Thomas Luhaka souhaite que « cette volonté de rétablir soit la même sur l'ensemble du territoire national ». « Aujourd'hui, a-t-il observé, nous savons qu'à la suite de l'acte d'engagement de Goma, la police nationale, les Fardc ne peuvent pas accéder à certaines zones contrôlées par les groupes armés et le CNDP de Laurent Nkunda ». Et le député de s'interroger : « Est-ce cela la volonté de rétablir l'autorité de l'Etat ? ». « Nous avons l'impression, a-t-il déduit, que le gouvernement a tendance à être plus rapide et plus zélé à rétablir l'autorité de l'Etat quand il s'agit des provinces de l'Ouest par rapport aux provinces de l'Est ». Il a cité trois exemples : janvier 2007 (Bas-Congo), mars 2007 (Kinshasa), mars 2008 (Bas-Congo).
« En ce qui concerne Ne Muanda Nsemi, c'est none allié mais nous allons lui prodiguer des conseils. Il est membre des institutions de la République. Et le débat a démontré qu'au sein de son organisation il y a des gens, manifestement, qui sont contre la Nation congolaise. Il faudrait qu'il puisse faire le ménage en son sein. Il faudra à un moment lever l'option selon laquelle BDK est une Eglise, un mouvement culturel ou alors un parti politique. Et là nous en parlerons en toute amitié et en toute fraternité parce que toute confusion du genre nous pose aussi problème », a-t-il conclu.
Pour le député Sessanga, président de la Commission politique, administrative et judiciaire de l'Assemblée nationale, « le débat est une très bonne leçon politique sur les libertés publiques, sur l'éthique dans l'action publique ». « Je pense, a-t-il noté, que les propos de Ne Muanda Nsemi ont démontré que les accusations du ministre de l'Intérieur n'étaient pas totalement fondées mais il faut éviter d'aller vite en besogne ».
(Yes)
Le Potentiel