Un pavé dans la mare ! Avant-hier, le gouvernement de Kampala a accusé celui de Kigali de fournir le Congolais Laurent Nkunda en armes. Armes qui transitent par le Sud-Ouest de l'Ouganda, en hélicoptères de l'armée rwandaise, en direction de Kichanga, le quartier général du général déchu, situé dans la province du Nord-Kivu. Qu'est-ce qui ne va plus pour que Museveni dénonce publiquement Kagamé, l'allié en compagnie duquel il a, de 1998 à 2003, envahi et pillé les ressources naturelles de la RDC ? Tentative de décryptage.
Vraiment inattendu, le coup de gueule du régime de Kampala ! A la fois pour exprimer son aigreur et sa désapprobation, le président Kaguta Yoweri Museveni n'a trouvé mieux que de s'attaquer à la relative «crédibilité» extérieure de son homologue rwandais, Paul Kagamé.
Selon Radio France Internationale (RFI) captée hier vendredi à Kinshasa, l'Ouganda a, sans fioritures ni circonlocutions, accusé le Rwanda et son leadership politique d'armer Laurent Nkunda, un général tutsi congolais entré en dissidence et radié de l'armée nationale (FARDC) en 2005.
A en croire RFI, Kampala a élevé des protestations contre le survol de son territoire, dans la région Sud-Ouest contiguë au Nord-Kivu, en RDC, d'un hélicoptère de l'armée rwandaise. L'Ouganda affirme que les rotations de l'hélicoptère rwandais ont pour but évident de ravitailler le dissident congolais en armes. Et pour donner le change, Kampala déclare avoir capturé plus d'une dizaine de rebelles congolais membres du mouvement politico-militaire de L. Nkunda. Parmi lesquels un milicien identifié comme sujet rwandais.
Comme il fallait s'y attendre, les révélations ougandaises ont mis la puce à l'oreille de maints analystes. Ils cherchent à comprendre le sens de ce message, d'autant plus que, depuis janvier 2008, grâce à l'Acte d'engagement de Goma, les derniers chefs de guerre congolais du Nord et du Sud-Kivu, y compris L. Nkunda, ont formellement accepté de faire la paix. Cet Acte est, soulignons-le, garanti par la communauté internationale qui, pour son application sans faille, l'accompagne d'un mécanisme de suivi.
SEULS COMPTENT LES INTERETS
Pourquoi Museveni dénoncé Kagame-t-il maintenant ? Est-il conscient que cette délation risque de remettre en cause les avancées de l'Acte d'engagement de Goma, laborieusement acquis ? La tapageuse sortie médiatique de l'Ouganda n'est-elle pas destinée à semer la méfiance entre les fils et filles du Nord et du Sud-Kivu ? Quel est, en définitive, l'objectif principal de Museveni ?
A première vue, les intérêts économiques ne sont pas étrangers à l'attitude des autorités de Kampala. Il est de notoriété publique que les perspectives de l'exploitation en commun ? par l'Ouganda et la République démocratique du Congo ? du pétrole découvert dans le lac Albert ont pesé dans la décision ougandaise.
Le président Museveni, qui fait de cette manne pétrolière «un problème de vie ou de mort» pour son régime, n'a que faire des états d'âme. Seuls comptent les intérêts de son pays.
Par ailleurs, les historiens rappellent le parcours en dents de scie de l'alliance entre le président ougandais et son homologue rwandais. C'est l'Ougandais qui a soutenu à bras-le-corps la rébellion rwandaise en exil, conduite notamment par Fred Rwigema, Pasteur Bizimungu et Paul Kagamé contre la dictature de Habyarimana.
Après l'avènement des rebelles au pouvoir à Kigali, en 1994, c'est encore l'Ougandais et le nouveau maître du Rwanda qui se sont ligués pour porter M'zee L.D. Kabila au pouvoir à Kinshasa. C'était en mai 1997.
L'alliance ne durera qu'au gré des intérêts des parties. Des signes de déchirements vont cependant se manifester en 1998, au lendemain de la deuxième aventure ougando-rwandaise d'envahir la RDC pour chasser du pouvoir L.D. Kabila et piller allégrement.
Du fait de la complexité des alliances des acteurs nationaux et étrangers, les armées ougandaise et rwandaise se sont affrontées à Kisangani, par deux fois, provoquant de gros dégâts matériels et humains.
Au finish, les troupes de Kagamé avaient militairement écrasé les hommes de Museveni. Suprême humiliation !
ADOPTER LA REAL POLITIK
Depuis ce sanglant épisode, les relations entre les deux ex-alliés sont teintées de méfiance. Il ne pouvait en être autrement car, à chaque fois qu'il y a défection des officiers dans l'un ou l'autre pays, pour divergences d'opinions, les opposants rwandais trouvent refuge à Kampala et les ougandais à Kigali. De quoi alimenter durablement le fonds de suspicion réciproque.
Il est permis de penser, sur base de ces observations, que la dénonciation de l'Ouganda contre le Rwanda est doublement motivée.
D'une part, partant du principe universel selon lequel «les Etats n'ont pas d'amis, mais plutôt des intérêts», l'Ouganda avait économiquement raison de se rapprocher de la RDC. Seule la RDC peut devenir son partenaire idéal pour le projet d'exploitation du pétrole du lac Albert.
D'autre part, l'Ouganda se sait condamné, il y a trois ans, par la Cour internationale de justice (CIJ) pour indemniser la RDC en raison de sa croisade meurtrière (concomitamment avec le Rwanda) de 1998-2003. Le règlement de la facture des dommages-intérêts, encore pendant, attend la concertation des deux pays dans un climat apaisé, un climat de confiance. Sur ce chapitre, l'arrogance de Kigali a rendu Kampala plus modéré, du fait des intérêts croisés que l'Ouganda peut tirer de sa coopération avec la RDC.
Qui s'étonnerait, dans les circonstances décrites ci-dessus, que l'Ouganda ait adopté la real politik, en tentant de noyer son ennemi, le Rwanda, et de se rapprocher d'un partenaire commercial tout désigné, la RDC ? La politique a ses raisons que, parfois, la raison ignore.