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JM Guéhenno: Je voudrais que la MONUC reste encore trois ans

Monuc - 7 décembre 2006 10:08

Joseph et Olive Kabila avec le Secrétaire général adjoint des Nations unies chargé des opérations de maintien de la paix, Jean Marie Guéhenno Le Secrétaire général adjoint des Nations unies chargé des opérations de maintien de la paix, Jean Marie Guéhenno était en visite à Kinshasa le mercredi 6 novembre 2006 pour la cérémonie d’investiture du président Joseph Kabila. Il partage ses réflexions sur l’avenir du pays ainsi que sa vision du nouveau rôle de la communauté internationale en RDC.

ENTRETIEN

Quel rôle la MONUC et les Nations unies vont-elles jouer en ce début de IIIe République en RDC et que proposent concrètement les Nations unies au peuple congolais ?

C’est un moment historique pour tous les Congolais. Cela faisait des décennies qu’ils avaient cette attente d’une vraie élection démocratique, d’une parole qui soit donnée au peuple. Le peuple s’est exprimé.

Pour nous, aux Nations unies, c’est aussi un moment historique. Je suis venu souvent en République démocratique du Congo, je me souviens de la situation du pays il y a six ans, il y a cinq ans, il y a quatre ans, il y a trois ans, il y deux ans, chaque année on a fait un petit progrès. Quand on cumule tous ces progrès, aujourd’hui on voit qu’il y a une ère nouvelle qui s’ouvre avec beaucoup d’espoir. Il va falloir gérer ces espoirs parce que tout ne va pas arriver d’un coup, il y a encore beaucoup d’efforts à faire. Mais c’est un nouveau commencement pour le pays.

A l’arrivée de la MONUC en 1999, est-ce que les Nations unies croyaient que les élections pourraient avoir lieu?

Franchement, je pense qu’on n’aurait pas imaginé que les choses se passeraient comme elles se sont passées. Imaginez un pays qui était occupé par toutes sortes d’armées, qui était divisé. On ne pouvait pas aller de l’est à l’ouest ou de l’ouest à l’est. Il y avait des combats qui se multipliaient partout et je crois qu’on oublie maintenant déjà ce qu’était la situation à l’époque. On est dans un autre monde, ce qui ne veut pas dire que il n’y a pas encore beaucoup de souffrances, beaucoup de malheurs, mais on est malgré tout dans un autre monde, heureusement.

Lors de votre dernière visite en RDC, vous aviez déclaré que les élections n’étaient qu'un point de départ, que vouliez-vous dire par là?

Les élections, c’est une pierre de fondation, c’est une nouvelle légitimité qui se créée, avec non seulement un président, mais aussi une assemblée nationale, des assemblées provinciales, des gouverneurs. C’est toute une série d’institutions, avec des poids et des contrepoids qui sont l’essence de la démocratie ; mais il faut maintenant compléter cette fondation en construisant la maison. L’état, qui a été presque détruit par la guerre au cours de ces dernières années, maintenant il faut le reconstruire, au service du peuple, pour que demain les gens aient accès a l’éducation, aient accès à la santé, pour qu’il y ait des routes, pour qu’il y ait tout ce qui rend la vie vivable, tout ce qui permet à un pays de vivre d’une façon décente. C’est tout cela qu’il faut construire maintenant.

Selon vous, quels seront les défis les plus urgents pour le nouveau gouvernement congolais?

Il faut consolider la sécurité. Aujourd’hui la MONUC joue encore un rôle très important pour la sécurité. Il faut qu’il y ait une police, une armée qui inspirent confiance aux citoyens ; il faut une justice qui inspire confiance, qui soit équitable. Donc il faut bâtir d’abord les institutions de souveraineté. Et puis, sur la base de ces institutions, il faut ensuite bâtir tous les services publics pour que chacun ait du travail, pour que les familles puissent vivre. C’est une œuvre de longue haleine, mais je crois, que dans les 18 mois qui viennent, il sera très important que les nouvelles autorités élues montrent qu’il y a un vrai changement dans la vie des gens.

Est-ce que cela sera facile ?

Cela sera difficile parce qu’il y a tout à faire. Il faut aussi collecter des ressources fiscales, donc il faut établir une relation juste entre l’état congolais et les entreprises qui gèrent les mines, la forêt et les nombreuses richesses du pays, pour que ces richesses soient gérées pour le bénéfice de la population. Il faut que les entreprises, quand elles investissent, puissent s’y retrouver, mais il faut en même temps qu’il y ait suffisamment de redevances, de recettes pour l’état congolais, de telle manière que cela profite vraiment à tous les Congolais.

La MONUC va-t-elle, après les élections, se transformer en une structure d’accompagnement du gouvernement ou va-t-elle plier bagages, en laissant un vide derrière elle ?

La MONUC ne va pas plier bagages. Il y a un immense travail qui a été accompli, mais je crois que la communauté internationale est bien convaincue que ce n’est pas le moment d’abandonner les Congolais, mais au contraire de continuer dans une démarche de solidarité. Mais la MONUC va se transformer parce que la MONUC, quand il n’y avait pas encore d’autorités élues, avait un rôle différent de celui qu’elle doit avoir une fois qu’il y a des autorités élues. Maintenant la MONUC va être en appui à ces nouvelles institutions, qui viennent d’acquérir la légitimité démocratique.

Est-ce que, après les élections, la communauté internationale va définitivement tourner le dos à la RDC ?

Non. Je sais qu’il y a cette inquiétude mais tout le monde voit bien l’énorme effort qui a été fait, les souffrances par lesquelles le peuple congolais est passé. Ce n’est pas le moment d’abandonner le Congo, un pays qui a été dévasté par la guerre. Au contraire, il faut redoubler d’effort mais ça doit être un effort qui, de plus en plus, doit être un effort de développement. Cela ne veut pas dire que, sur le plan militaire, la MONUC va plier bagages parce que, tant qu’il n’y a pas une police crédible, consolidée, tant qu’il n’y a pas une armée solide et qui respecte les droits de l’homme, il faut que la MONUC reste là pour parer à toute éventualité. Mais, en même temps, il faut que l’effort en matière de développement s’intensifie pour qu’il y ait des services publics, pour que les services de base soient assurés. Par exemple, je voudrais que les unités du génie et les ingénieurs de la MONUC travaillent, dans la mesure du possible, avec les Congolais pour aider à réparer les infrastructures, là où ils sont déployés. Ils peuvent rendre ainsi des services concrets à la population.

Est-ce qu’on peut avoir une idée de la date du départ de la MONUC et de ses troupes?

Ce sera une décision qui sera prise par le Conseil de sécurité des Nations unies. Je voudrais que la MONUC reste au moins encore trois ans. Et je suis convaincu qu’elle va rester encore plusieurs années parce que tout le monde a conscience que le travail n’est pas terminé, donc je pense qu’il va falloir qu’il y ait, entre la communauté internationale et les Congolais, une sorte de contrat, pas au sens juridique du terme, mais une sorte d’engagement réciproque pour que la communauté internationale et les Congolais se fixent un certain nombre de repères, d’étapes à franchir qui guideront, le moment venu, la décroissance, puis le retrait de la MONUC. Il faut se fixer des rendez-vous, des objectifs et, au fur et à mesure, qu’on les atteint, changer graduellement, progressivement le format de la MONUC. Il faut le faire d’une façon réfléchie et raisonnée, qui corresponde aux besoins objectifs du pays.

Vous voulez dire que la MONUC ne gardera pas sa taille actuelle?

Au milieu de l’année 2007, on fera déjà le point pour voir où on en est sur le plan sécuritaire et voir si on peut commencer à envisager une diminution du nombre des troupes de la MONUC en RDC. Aujourd’hui, déployés sous la bannière des Nations unies, il y a près de 100 000 personnes à travers le monde ; donc les 20 000 environ qui sont déployées au Congo entre militaires, policiers et civils, cela représente pour les Nations unies un cinquième de ses forces et un peu moins du cinquième du budget du maintien de la paix, c’est un effort considérable. Donc, quand la situation se consolidera en RDC, je crois qu’il faudra, à ce moment-là, réduire la MONUC ; mais on ne le fera pas de façon précipitée et irréfléchie, ce serait irresponsable.

Qu’est-ce que les Nations unies prévoient après la disparition du Comité international d’accompagnement de la transition, qui a joué un rôle majeur pendant ce processus électoral. Y aura-t-il un autre mécanisme d’accompagnement du processus politique en RDC ?

Il faut en discuter avec les autorités congolaises, il faut en discuter avec le président Kabila. Je crois que la situation, une fois qu’il y a des autorités élues, est fondamentalement différente de la situation qui prévaut quand il n’y a pas encore d’autorités élues. Il faut être à l’écoute des Congolais, voir quels sont leurs besoins.

Je pense qu’un mécanisme de liaison à haut niveau entre les autorités congolaises et la communauté internationale peut être utile parce que cela peut être une manière aussi d’engager la communauté internationale, de l’obliger à prendre un certain nombre d’engagements.

Il ne s’agit pas d’avoir un mécanisme qui dit aux Congolais ce qu’ils doivent faire, parce que c’est aux Congolais de décider ce qu’ils doivent faire. C’est au pays, dans sa souveraineté, de dire ce que sont ses besoins. Je crois qu’on doit avoir un lieu où les Congolais disent ce que sont leurs besoins, où ils prennent un certain nombre d’engagements en fonction de leurs besoins, où la communauté internationale prend aussi des engagements sur une base de réciprocité. Il s’agirait de se rencontrer régulièrement pour voir où on en est sur le chemin qu’on est en train de faire ensemble. Je crois que cela peut être utile.

Il ne s’agira donc pas d’un CIAT nouvelle formule?

Je crois que cela sera quelque chose de très différent. Ce qu’il faut envisager maintenant c’est un mécanisme beaucoup plus équilibré où les Congolais aussi peuvent convoquer une réunion, pour demander à la communauté internationale des comptes, lui dire « Vous avez pris tel ou tel engagement ; où en êtes-vous ? ». Un mécanisme qui permette un vrai dialogue entre la communauté internationale et le Congo sur la stratégie qui aura été agréée, décidée entre la communauté internationale et les Congolais pour avancer ensemble.

Est-ce ce n’était pas le cas pendant la transition ?

Pendant la transition, c’était une situation un peu différente. Les autorités étaient beaucoup plus fragiles et n’avaient pas la légitimité que confère le suffrage universel, que confère l’élection. La situation a changé, maintenant.

Avec la disparition du CIAT, le départ de l’EUFOR et, plus tard, de la MONUC, des Congolais craignent de nouveaux problèmes de sécurité ? Que répondez-vous à ces inquiétudes ?

Tous les grands leaders politiques s’engagent sur la voie de la réconciliation nationale. J’ai vu le vice-président Bemba, qui m’a confirmé son engagement à agir comme opposition bien sur, mais comme opposition dans le cadre des institutions de la République. Je crois que c’est un signal très important qui est envoyé. Tout à l’heure, je parlais au président Chissano, du Comité des Sages, qui lui aussi me disait que son analyse, ayant écouté tous les grands leaders politiques congolais, c’est qu’aujourd’hui le pays est fatigué de la guerre et que tous les leaders savent que, s’ils tiennent un langage de guerre et de violence, c’est un langage qui ne sera pas écouté. Il y a donc une vraie volonté de paix au plus haut niveau.

Cela dit, comme nous sommes des gens prudents, nous allons garder une présence militaire - que le gouvernement congolais souhaite en RDC - tant que les institutions de sécurité ne seront pas suffisamment consolidées. Donc, il n’y aura pas de retrait précipité, il va y avoir un accompagnement de cette consolidation de la paix par les leaders politiques congolais.

Je crois qu’il ne faut pas s’inquiéter excessivement sur l’avenir mais, en même temps, je dis à tous les Congolais : la paix est entre vos mains, c’est à chacun de vous, par votre action personnelle, de vous mobiliser pour que ceux qui auraient un langage de guerre, de vengeance, de revanche ne dominent pas et que ce soit un langage de réconciliation qui domine. Une action civique des organisations non gouvernementales, des organisations à la base est très importante, parce que la paix ne se décrète pas d’en haut, la paix se fait avec le peuple, avec ceux qui choisissent de faire la paix à tous les niveaux. Chacun a une responsabilité personnelle pour demain consolider la paix. La communauté internationale peut appuyer ces efforts des Congolais mais elle ne peut pas les remplacer. C’est les Congolais qui vont faire la paix entre eux et pas la communauté internationale qui va faire la paix pour eux.


Quelle forme concrète l’accompagnement de la communauté internationale va-t-il prendre ?

Sur le plan de la sécurité, il s’agit premièrement de maintenir une présence militaire qui sécurise les zones où il pourrait y avoir des violences. Deuxièmement, une action continue de la MONUC pour former la police. Troisièmement, une action de coordination pour que les efforts qui sont fait par différents pays - l’Angola, l’Afrique du Sud, la Belgique, mais aussi des organisations comme l’Union Européenne - soient coordonnés de telle façon qu’ils répondent aux besoins déterminés par le gouvernement congolais pour consolider la sécurité.

Quatrièmement, dans le domaine très important de la justice, un effort continu pour bâtir des institutions judiciaires. Et cinquièmement, tout l’effort énorme en matière de développement - avec les agences des Nations unies, avec les programmes bilatéraux et multilatéraux - pour que dans tout le pays, il y ait de vrais programmes de développement. Et là, je voudrais souligner un point très important : cette coopération internationale doit se faire, d’une part avec les autorités nationales à Kinshasa, mais aussi avec les provinces. Il y a une décentralisation, qui est un des enjeux de la nouvelle constitution congolaise. Je crois qu’on n’a pas encore pris, dans le pays, la mesure de ce que la décentralisation va représenter. Il faut dire que le cycle électoral n’est pas terminé, puisque, début janvier, seront élus les sénateurs et les gouverneurs. Et la constitution donne beaucoup de pouvoir à ces assemblées provinciales et aux gouverneurs élus de chaque province. C’est un compromis entre un système fédéral et un système centralisé qui a été décidé par les Congolais. La communauté internationale va jouer un rôle pour aider aussi ces nouvelles institutions provinciales à prendre leur essor et à être à l’écoute des habitants des provinces.

Je crois que ce dont a souffert le pays pendant de trop longues années, c’est qu’on disait que c’était la république de Kinshasa, on n’était pas assez à l’écoute des profondeurs du pays. Et pour un pays de la taille de la RDC, il est clair que, s’il n’y a pas cette décentralisation, s’il n’y a pas cette aide au développement qui va, au-delà de la capitale, dans les provinces, cela ne peut pas marcher. Je crois que la communauté internationale aura un rôle très important à jouer pour travailler aux cotés des Congolais à relancer le développement dans la profondeur du pays, dans les onze provinces qui deviendront ensuite 26.


Comment la communauté internationale peut-elle aider les Congolais dans le domaine de la bonne gouvernance ?

La bonne gouvernance est essentielle. Il y a eu des rapports très courageux qui ont été fait par des parlementaires congolais, je pense par exemple au rapport Lutundula sur les contrats d’exploitation des ressources.

Mais c’est un rapport qui n’a jamais été débattu à l’assemblée nationale.

J’espère que ce genre de question sera débattu publiquement parce que c’est très important. Comme vous le savez, il a été demandé à la Banque Mondiale d’examiner un certain nombre de contrats concernant le Katanga, je sais que cet examen est en cours. Je crois que la bonne gouvernance, elle va d’abord résulter de la transparence. Le fait que les élections aient amené un vrai pluralisme - il y aura un exécutif, une majorité parlementaire et aussi une opposition - c’est quelque chose de sain.

Evidemment, dans un pays qui a été déchiré par la guerre civile, cela inquiète toujours les différences d’opinion, mais, si elles sont gérées démocratiquement, c’est un atout. Il va falloir faire fonctionner les institutions congolaises pour qu’elles établissent la transparence, pour que personne ne puisse être le seul maître du jeu, pour qu’il y ait la possibilité de discuter publiquement des grandes questions, notamment de l’exploitation des ressources, qui doit se faire dans l’intérêt des Congolais.

La communauté internationale peut jouer un rôle en matière de transparence. Il ne s’agit pas que la communauté internationale dise «vous allez faire ceci ou cela» et s’ingère d’une façon paternaliste, arrogante dans ce qui est l’affaire des Congolais. Ce serait du néo-colonialisme et personne ne veut de cela. Ce que la communauté internationale peut faire, c’est apporter une capacité technique - ce qu’est en train de faire la Banque Mondiale quand elle examine des contrats - pour que le débat public congolais soit un débat informé, de telle manière que la pression publique oblige à la transparence et à l’honnêteté.

Je crois que ceci se produira s’il y a plusieurs conditions qui sont réunies : un vrai débat politique avec une vraie opposition et une vraie majorité dans les institutions élues - et les élections permettent cela maintenant ; une aide technique de la communauté internationale de telle manière que ce débat soit un débat vraiment informé ; et puis une action aussi de toutes les organisations civiques. Ces organisations civiques ont un vrai rôle à jouer : elles doivent être vigilantes, pour que personne ne puisse s’approprier quoi que ce soit. Là aussi, c’est aux Congolais de prendre leur destin en main, cela ne peut pas se faire de haut en bas. Il faut une action civique à la base pour que les gens se mobilisent sur cette question, qui est évidemment essentielle pour l’avenir du pays.

Avec la fin de la transition en RDC, la MONUC entre finalement dans une transition entre le maintien de la paix et l’aide au développement économique du pays?

Tout à fait. Le maintien de la paix doit toujours s’accompagner de la construction de la paix : s’il n y pas de sécurité, il ne peut pas y avoir de développement ; donc la composante militaire de la MONUC a été essentielle, et elle va le rester encore pendant que les institutions de sécurité se consolident ; mais il faut maintenant intensifier en parallèle l’effort de développement. Ce n’est pas toujours facile, parce que la communauté internationale n’est pas toujours bien équipée pour cela, parce qu’elle a aussi en face d’elle un Etat qui est en train de se construire. Mais maintenant, de plus en plus, la priorité en RDC doit être la priorité du développement et c’est sur ce chemin-là que la communauté internationale va maintenant accompagner les nouvelles autorités élues.

On pourrait considérer qu’il y a, actuellement, deux types d’oppositions en RDC : celle qui se retrouve dans les institutions, mais qui est minoritaire au parlement, et celle qui se trouve en dehors des institutions. Quel rôle ces deux oppositions peuvent-elles jouer ? La MONUC peut-elle travailler avec ces deux oppositions ?

Dans un pays qui se stabilise, il est essentiel que les oppositions passent par les institutions élues, parce que si on essaie de faire fonctionner la démocratie dans la rue, c’est ne plus la démocratie, c’est très vite la violence, l’intimidation et on prend un chemin très dangereux. Je crois que ce qui est important maintenant, c’est de faire fonctionner les institutions élues pour que, à travers les institutions élues, la voix de la minorité puisse s’exprimer.

Une élection démocratique n’est pas un blanc-seing donné au vainqueur, ce n’est pas pour le vainqueur la possibilité de tout faire, une démocratie donne des devoirs au vainqueur autant qu’elle lui donne des pouvoirs. Dans ces institutions, il va être très important que la voix de l’opposition puisse s’exprimer. On insiste sur le fait qu’au niveau national -et c’est la règle démocratique - il y a un vainqueur et un vaincu, il y a un président élu, une majorité parlementaire ; c’est effectivement cela qui fait la force des nouvelles institutions démocratiques du pays.

Mais il y a différents niveaux d’institutions, il y a des institutions provinciales où certains, qui sont dans l’opposition au niveau national, seront la majorité au niveau provincial. Donc il y a des pouvoirs et des contrepouvoirs qui vont exister. On ne peut pas dire simplement qu’il y aura d’un coté la majorité qui gérerait le pays et de l’autre l’opposition qui n’aurait pas de pouvoir ; non, il y aura des provinces où c’est l’opposition qui sera la majorité, donc il y a la possibilité d’un vrai jeu démocratique.

Maintenant, ce qui est important, c’est que les Congolais s’engagent dans cette vie des institutions pour les faire fonctionner efficacement avec la perspective d’alternances. Ces élections ne sont pas les dernières élections du Congo. Je parlais avec l’abbé Malu Malu hier soir. Il y a tout un travail qui été fait, des électeurs ont été enregistrés, maintenant il faudra mettre à jour ces listes électorales, faire en sorte que les jeunes gens atteignant l’age de maturité électorale s’inscrivent sur les listes.

L’acte démocratique des élections de 2006 n’est pas une conclusion, c’est quelque chose qui va se répéter régulièrement et je crois qu’il faut que les Congolais se préparent à cela. C’est cela la vie démocratique, tout ne s’est pas joué en 2006 et tout ne se joue pas au parlement, cela se joue dans de nombreuses institutions et cela se jouera lors d’échéances électorales régulières.


Les Nations unies vont travailler avec quelle opposition, celle qui travaille dans les institutions, ou celle qui est en dehors des institutions?

Je crois que celle qui est dehors des institutions doit s’approcher de celle qui est dans les institutions. Etre en dehors des institutions, qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’on essaie de jouer le langage de la rue, de la force ? Cela, je crois que les Congolais n’en veulent pas. Quand on n’a pas été élu, cela ne veut pas dire qu’on n’a pas de voix. Il faut s’organiser dans des partis politiques, se préparer pour les prochaines échéances électorales, faire des alliances, mais jouer le jeu de la démocratie, jouer le jeu de l’élection, parce que si on refuse le jeu de l’élection, cela veut dire que tôt ou tard on joue le jeu de la violence, des fusils. Je pense que l’expérience des ces dernières années, l’immense tragédie qu’a été la vie des Congolaises et des Congolais devraient convaincre tout le monde que c’est une option que personne n’a le droit de prendre.

Aujourd’hui, il faut jouer, à fond, le jeu de la consolidation des institutions ; et, quand on n’a pas été élu dans ces institutions, il faut se préparer à l’être au prochain cycle électoral, et, en attendant, faire des alliances avec ceux qui ont été élus, et qui sont proches de votre sensibilité politique.


Aujourd’hui on parle d’opposition républicaine. Comment cette opposition peut-elle jouer son rôle de contrepoids au pouvoir au moment où elle est une minorité au parlement ?

Je crois que la majorité n’est pas monolithique, et l’opposition n’est pas monolithique. Il va y avoir des questions très complexes à régler. Ce que je trouverais souhaitable, c’est que, sur un certain nombre de questions, il y ait des majorités d’idées. Je pense que c’est dans l’intérêt aussi du Président de ne pas être toujours prisonnier de sa majorité : sur certaines questions peut-être certains dans sa majorité ne le suivront pas, mais il peut être rejoint par des composantes de l’opposition. Il faut faire vivre au Parlement, à l’Assemblée, un vrai débat démocratique. Je crois que le rôle d’une opposition, c’est d’apporter des idées, c’est d’obliger à la transparence, pour qu’il n’y ait pas une vérité, une seule voix qui s’affirme. Je pense que quand il y a ce type de débat, cela crée une discipline pour chaque responsable politique, qui ne peut plus vivre simplement de propagande, parce que sa propagande sera contredite par d’autres. C’est ce pluralisme des voix qui est la meilleure garantie du progrès.


Comment la MONUC va-t-elle aider le gouvernement issu des élections à restaurer la paix en Ituri, où sévissent encore des groupes armés?

Des milliers de combattants des milices on été désarmés. Un des grands problèmes - et on l’a vu particulièrement en Ituri - c’est que ceux qui déposent les armes ne trouvent pas toujours des emplois ensuite ; donc la question du chômage et de l’absence d’activité économique est un vrai problème. En parallèle aux actions qu’on peut mener sur le plan sécuritaire, il faut aussi des actions de développement, pour que ces anciens combattants puissent vivre autrement qu’avec un fusil. Je crois aussi qu’il faut consolider la présence de l’Etat en Ituri, comme dans beaucoup de parties du pays. Il faut une justice qui fonctionne. Il y a des juges très courageux à Bunia mais ils sont un peu débordés. Il faut des services publics de base qui fonctionnent en Ituri. Aujourd’hui ils ne sont pas encore vraiment opérationnels, il y a un vrai travail de développement à faire à Ituri, en parallèle à la consolidation de la sécurité.


Quel bilan pouvez-vous présenter aux habitants de l’Ituri après plus de 3 ans de présence de la MONUC en Ituri ? Qu’est-ce qui a été fait et qu’est-ce qui reste encore à faire ?

En 2003, il y avait des violences épouvantables, qui auraient pu déboucher sur des massacres de masse - il y a eu des massacres, mais ils ont été arrêtés à temps. Je pense que le bilan de la MONUC est largement positif dans la mesure où aujourd’hui, en Ituri, il y a quand même beaucoup d’endroits où on peut vivre à-peu-près normalement.

Là où le bilan est insuffisant, c’est surtout au plan du développement, parce qu’il y a tous ces miliciens qui ont été désarmés mais qui s’impatientent, avec le risque qu’ils reprennent les armes s’il n’y a pas de vrais progrès sur le plan économique.

Je crois que c’est là qu’il n’y a pas eu assez d’efforts et qu’il faut que les Congolais et la communauté internationale se mobilisent pour que, une fois qu’on sécurise, derrière cette action de sécurisation, il y ait une vraie action de développement. Je pense que c’est là que nous n’avons pas tout à fait réussi.
 

Comment expliquer que les FARDC et la MONUC n’arrêtent pas Laurent Nkunda, qui déstabilise l’est de la RDC, alors qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt international et qu’on connaît le lieu où il se cache ?

Avec 17000 troupes dans un pays de 60 millions d’habitants, la MONUC ne sera jamais capable d’assurer la sécurité de tous partout. La MONUC intervient en appui.

Ces derniers jours, au Nord Kivu, la MONUC a joué un rôle décisif pour stabiliser la situation. Elle est intervenue militairement avec ses hélicoptères de combat, avec des moyens lourds. S’il n’y avait pas eu cette intervention, la situation aurait pu s’aggraver.

Je crois que la combinaison d’une action militaire déterminée de la MONUC et de discussions politiques - pour qu’il n’y ait pas de base politique à une action séditieuse - a beaucoup contribué à stabiliser la situation au Nord Kivu ces derniers jours. Il faut que cela continue de telle manière qu’il n’y ait pas quelque part un chef de guerre qui puisse défier les autorités et l’ordre publique ; car cela, c’est inacceptable.


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