« On ne peut pas faire la presse avec des journalistes pauvres et corrompus », affirme JED (Journaliste en danger) qui, dans son rapport annuel publié jeudi à Kinshasa sur la « liberté de la presse au quotidien : entre la peur et la survie », constate « 75 cas d’atteintes à la liberté de la presse en RDC » en 2009. Le « recul de la répression » qu’il observe n’est cependant « pas accompagné d’une amélioration qualitative du contenu des médias ».
Le rapport annuel de Journaliste en danger (JED) publié le jeudi 10 décembre 2009 au cours d’un point de presse au restaurant O’Girassol à Kinshasa, date commémorative de la Journée mondiale des Droits de l’Homme, constate « 75 cas d’atteintes à la liberté de la presse en République démocratique du Congo au cours de l’année 2009 contre 110 cas pour l’année 2008 ». Soit, note-t-il, « une amélioration de la situation de l’ordre de 31,8% ».
« L’année 2009 a pu démontrer une forte tendance à la baisse en termes de nombre d’attaques contre les médias et les journalistes à cause de leur travail. A ce jour, il n’y a aucun journaliste en prison en RDC », s’est réjoui le président de JED, M’Baya Tshimanga. L’explication, a-t-il ajouté, est à trouver dans le comportement même des journalistes et dans les méthodes de « répression » qui sont devenues plus soft.
Toutefois, les statistiques renseignent que les atteintes à la liberté de la presse sont allées croissant, passant successivement de 49 en 2001, à 125 (2006) et 163 en 2007.
« Face à la série des meurtres contre les journalistes depuis 2005 et au fiasco de leurs enquêtes et procès, les journalistes ont pris peur d’aborder, de manière professionnelle, certains sujets qui fâchent comme la guerre à l’Est, la corruption et les détournements », a-t-il souligné.
En matière de répression, le rapport de JED relève que « l’Agence nationale des renseignements (ANR), particulièrement ses services en provinces, apparaît comme le service le plus répressif de la liberté de la presse avec 26 cas sur les 75 observés. Kinshasa, qui concentre le plus grand nombre de journalistes et médias est la ville la plus répressive avec 28 cas sur le total observé ».
Le Sud-Kivu est cité comme la province « la plus dangereuse pour les journalistes », avec « un tué » qui est « le troisième de la série depuis 2007 ».
Une anecdote sur le Nord-Kivu fait état d’un hebdomadaire paraissant à Goma qui « a vu un lot important de son édition du lundi 9 novembre 2009 acheté par M. Roger Rachidi Tumbula, maire de la ville de Goma, après en avoir saisi 1.000 exemplaires » et ordonné à un officier de police d’interpeller « brièvement » un agent commercial.
« En publiant ces articles à caractère ethnique, nous avons compris que le journaliste a besoin d’argent. Raison pour laquelle la mairie a acheté ces journaux incendiaires », a expliqué le maire - cité dans le rapport de JED – « pour justifier la soustraction de la circulation d’un lot important du journal ».
JED dit avoir « également observé le fait que le recul de la répression contre la liberté de la presse ne s’est pas accompagné, au cours de cette année, d’une amélioration qualitative du contenu des médias » à cause de la « psychose de peur » et « les préoccupations de survie ».
A ce propos, son secrétaire général Tshivis T. Tshivuadi signale qu’« on ne peut pas faire la presse avec des journalistes pauvres et corrompus, impayés pendant 24 mois » et oeuvrant dans des « médias pauvres ». « La situation économique des entreprises de presse n’est pas reluisante du fait de la crise économique et de l’effritement du marché de la publicité. Les médias indépendants ne sont pas des entreprises à proprement parler parce que gérées de façon artisanale et ne tiennent pas, la plupart, de comptabilité. Conséquence : les journalistes congolais n’ont pas de salaires, sinon un salaire dérisoire qui pousse le journaliste à arrondir les angles par ce phénomène dit + coupage +, en se faisant payer par les sources d’informations », a-t-il stigmatisé.
TYPOLOGIE DES ATTEINTES A LA LIBERTE DE LA PRESSE
Par conséquent, « la communication institutionnelle et la propagande ont pris le dessus sur l’information, les questions de société derrière lesquelles ne se trouve aucun sponsor trouvent très peu de place dans la plupart des médias », regrette JED.
En outre, il croit savoir que les opérations militaires des FARDC contre les groupes armés « ont été aussi à la base de la décision prise par le gouvernement de couper le signal d’émission en modulation de fréquences de la Radio France Internationale, accusée de + démobiliser les forces engagées au front + ». Dans le même rapport, JED note que « les crises politiques, les élections et l’instabilité qui ont caractérisé la région de l’Afrique centrale ont porté des coups durs au travail des journalistes et des médias désormais soumis à la censure et à l’autocensure ».
JED classe les atteintes à la liberté de la presse en neuf typologies en 2009. Il s’agit des journalistes ou professionnels des médias tués (1), journalistes portés disparus (0), journalistes en prison au moment de la publication du rapport (0), journalistes incarcérés (3), journalistes interpellés (20), journalistes agressés, maltraités ou torturés (10), journalistes ou médias menacés ou harcelés (13), pressions administratives, économiques ou judiciaires (16) et entraves à la libre circulation nationale ou internationale de l’information (12). Soit 75 cas d’atteintes à la liberté de la presse en 2009.
« Au phénomène + un ministre, un journal +, a succédé cet autre phénomène + chaque journaliste son ministre et chaque ministre son journaliste +. Et souvent, ces + mariages + d’intérêts se font sur des bases ethniques », a dévoilé le président de JED.
Pour M’Baya Thhimanga, « le drame est que ces journalistes sont, la journée, au cabinet du Premier ministre et le soir à leurs rédactions respectives où ils veillent au grain pour que rien de négatif ne passe. Tous les ministères ont des journalistes actifs comme attachés de presse ou conseillers en communication ».
Ceci pourrait vraisemblablement expliquer cela.
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