France 24 : Monsieur le Président, vous avez longtemps hésité à vous rendre à Kinshasa, au Sommet de la francophonie ; pourtant mardi, vous avez déclaré que la situation dans ce pays est tout à fait inacceptable au plan des droits, de la démocratie et de la reconnaissance de l'opposition, bref un pays infréquentable. Alors on a envie de vous demander pourquoi allez-vous à Kinshasa et avez-vous reçu depuis des garanties ?
François Hollande : D’abord, je vais à Kinshasa parce que c'est l'Afrique et parce que je veux dire aux Africains qui parlent le français, que nous sommes extrêmement reconnaissants à leur égard. La langue française, c'est une langue africaine. Aujourd'hui, les Africains sont ceux qui sont les plus nombreux à parler Français ; je veux leur exprimer ma gratitude. Je vais à Kinshasa parce que c'est un grand pays, la RDC, et c’est un pays qui est agressé à ses frontières. Je viens comme président de la République aussi pour dire ce que j'ai déjà prononcé à l'Assemblée générale des Nations Unies : je n'accepte pas que les frontières de ce grand pays puissent être mises en cause par des agressions venant de l'extérieur. Ensuite, je viens à Kinshasa -je serai avant à Dakar au Sénégal- pour tenir le discours de la franchise, de la transparence et du respect. Des élections se sont produites l’année dernière en RDC. Elles n'ont pas été regardées comme étant complètement satisfaisantes. Mais il y a aussi des progrès qui viennent d'être accomplis ; je les souligne : une commission pour les élections, une commission pour les droits de l'Homme. Je veux donc, à chaque fois que je me déplace, qu’il y ait aussi la marque, lorsque la France est là, qu’il doit y avoir des progrès en matière de démocratie.
TV5 Monde : Certaines des garanties que vous attendiez n’ont pas été remplies comme, par exemple, la transparence sur le procès des assassins de Florent Chebeya, le militant des droits de l’Homme, assassiné en 2010. De ce point-de vue-là, exprimez-vous des regrets ?
J’aurais l’occasion de m’exprimer là-bas. Je dirai d’ailleurs à Kinshasa ce que je dis partout et ici, en France. Je n'ai pas plusieurs langages. Je n'ai pas plusieurs manières de parler selon mes interlocuteurs. Mais je sais qu'il y a ce procès qui est attendu parce que c’est un militant qui a été assassiné et que sa famille, ses proches, ses amis demandent justice. J'aurais l’occasion de m'en entretenir avec le Président Kabila. Les temps ont changé, la France est maintenant désireuse à la fois de respecter tous ses interlocuteurs, mais aussi de leur dire la vérité. Cette vérité n’est pas celle de la France, c'est celle des droits fondamentaux, des libertés essentielles et de la démocratie.
RFI : Vous allez rencontrer le chef de l'opposition congolaise, Etienne Tshisekedi, à la Résidence de France à Kinshasa. Qu'allez-vous lui dire ? Il appelle à des manifestations. Cela vous inquiète-t-il ?
Plusieurs grandes organisations non gouvernementales, que j’avais consultées avant de prendre ma décision d'aller à Kinshasa, m’ont donné leur point de vue. Elles m’ont conseillé daller à Kinshasa, d’aller en RDC, d’abord parce que c'était un sommet de la francophonie et c’était mon devoir que d’y être, pour la France, le français, mais aussi pour l'Afrique, je viens de le dire, et exprimer un message. Et également pour parler à toutes les parties prenantes de cette grande République, car la RDC est un grand pays, un des plus grands pays d'Afrique.
RFI : Avec une démocratie bloquée quand même ?
Avec une population qui aspire à la démocratie, avec des règles qui ne sont pas aujourd’hui encore complètement satisfaisantes. J'en parlerai avec le Président Kabila et j'aurai un entretien avec lui. J’ai souhaité aussi avoir un entretien avec l’opposition, le principal parti, j’allais dire le principal opposant historique. Je le verrai, j’en verrai d’autres, les organisations non gouvernementales, non pas pour m'ingérer, je ne suis pas là pour être l’arbitre, le juge, ce n’est pas ce que l’on demande à la France et ce n’est pas ce que la France veut faire. Là aussi, c’est une nouvelle politique qui est en train de se définir, c'est-à-dire que nous avons du respect, nous avons de la considération, mais en même temps on se dit les choses et on aide.Je veux permettre par ma visite, que le processus démocratique qui a été engagé puisse aller jusqu'au bout.
TV5 Monde : En ce sens, la rencontre avec Etienne Tshisekedi, est aussi un message envoyé aux autorités ?
C'est un message envoyé à tous les chefs d'Etat africains. Je les considère, je suis conscient, lorsqu’ils ont été élus par un processus démocratique, qu'ils représentent pleinement leur pays. Quand ils n’ont pas été élus par cette procédure, je fais en sorte d'avoir de bonnes relations d’Etat à Etat, mais je reconnais aussi les opposants dès lors qu'ils s'inscrivent dans la démocratie, qu'ils veulent, concourir sans violence à ce que ce soit les urnes qui décident en Afrique comme partout ailleurs.
France 24 : Monsieur le Président, revenons sur votre première étape qui est Dakar au Sénégal. En 2007, Nicolas Sarkozy avait dit ces mots qui avaient choqué « l’homme africain, n’est pas assez entré dans l’Histoire ». Dakar 2012 avec François Hollande, est-ce que ce sera le discours de la réparation ?
Non, je ne viens pas faire un discours pour effacer un précédent. Je viens prononcer un discours pour écrire avec l'Afrique une nouvelle page parce que la France et l’Afrique ont des relations historiques ; nous avons à la fois une reconnaissance par rapport à l'Afrique, à ce qu’elle nous a apporté…
France 24: C’est quoi cette nouvelle page ?
Et aussi des fautes qui doivent être rappelées : ce qu’a été la colonisation et avant, ce qu’a été la traite négrière.La nouvelle page, c'est de voir l'Afrique comme un continent d’avenir, c'est-à-dire des pays qui connaissent une forte croissance. Nous ici, en Europe, nous souffrons de la récession, dans certains de nos pays voisins, d’une croissance faible. En Afrique, une dynamique économique est née depuis plusieurs années. C’est un continent d'avenir parce qu'il y a une jeunesse qui demande à prendre sa place. C’est un continent d’avenir parce que des entreprises sont en train de s’installer, des pays se sont eux-mêmes investis, notamment la Chine et les Etats-Unis.Je viens donc dire aux Africains : « nous voulons être de votre grande aventure ». Je viens dire à cette jeunesse : nous voulons nous vous parler, avec notre langue, quelquefois avec une autre langue quand elle est parlée par des anglophones, mais nous venons faire une relation qui sera une relation de confiance et de considération.
RFI : Justement, sur cette question économique, vous dites que l'Afrique est le continent de la nouvelle croissance, mais ne craignez-vous pas que la diplomatie économique que vous prônez se heurte aux principes que vous défendez ?
La diplomatie économique, c'est de faire en sorte que nous puissions avoir une place pour nos entreprises. D'ailleurs, elles l'occupent en Afrique. 20 % de l'économie en Afrique concernent des entreprises françaises. C’est donc une présence considérable. Mais moi je ne veux pas des passe-droits. C'est fini le temps des émissaires, des intermédiaires, de ce que nous pouvions emmener dans nos bagages.
RFI : Y compris dans le secteur pétrolier ?
Qu'il y ait une grande entreprise comme TOTAL qui joue son rôle. Chaque fois que je suis interrogé, je dis que je souhaite que TOTAL puisse prendre des positions, mais dans la transparence. Tel est ce que je veux faire, c'est-à-dire faire en sorte que pour toutes les industries extractives, minières, forestières, il y ait une transparence absolue sur leur compte pays par pays. Pour TOTAL, je m'en suis expliqué avec son Président, il y est prêt, il le fait déjà. Donc, oui, nous pouvons avoir des intérêts économiques, mais nous ne ferons pas une diplomatie qui serait celle de nos intérêts économiques.
TV5 Monde : Justement, vous évoquez la « Françafrique », celle des réseaux obscurs entre Paris et le continent noir. Nicolas Sarkozy avait promis la fin de ces réseaux. Depuis votre arrivée à l'Elysée, vous avez reçu une demi-douzaine de chefs d'Etat africains dont certains font partie de cette « Françafrique». Certains seraient même impliqués dans des affaires dites de « biens mal acquis ». Alors où est réellement « la rupture » ?
Cela ne vous a pas échappé que sur « les biens mal acquis », la justice français fait son travail et sans entrave et qu'il y a notamment un pays, une famille qui est particulièrement concernée ; je laisserai la justice aller jusqu’au bout, non pas parce que je veux m'acharner -je ne suis pas celui qui instruit les procédures-, mais parce que je considère que c’est un devoir pour les Africains, que de savoir exactement ce que sont devenus un certain nombre de fonds.Par ailleurs, je reçois les chefs d’Etat de tous les pays du monde, ceux qui me demandent audience, rendez-vous ; je me déplace également. Il n'y a pas toujours que des démocrates, je le regrette mais j'ai des relations d'Etat à Etat. Néanmoins, chaque fois que je reçois un chef d'Etat, africain, d’une autre origine ou d'un autre continent, chaque fois je leur parle de la situation dans leur pays, non pas pour m’immiscer, non pas pour m’ingérer, mais parce que je leur dois cette franchise.
Et quand un opposant est détenu, lorsqu'une liberté est entravée, lorsqu’un certain nombre de manifestations sont interdites ou réprimées, je leur dis, mais en même temps j’essaie de faire avancer les dossiers du continent africain ou les dossiers de nos entreprises, lorsqu’elles sont concernées.
France 24 : Cette normalisation de cette politique africaine ne risque-t-elle pas d’aboutir à une perte d'influence de la France ?
Mais c'est le contraire ! D’abord, je bannis ce mot « normalisation » qui a un côté d’un autre temps. Disons une « nouvelle politique », respectueuse, transparente.
TV5 Monde : Cela signifie que les politiques précédentes ne l’étaient pas ?
Pas suffisamment puisqu'elles étaient critiquées ; vous me parlez de « Françafrique », il y aura la France et il y aura l’Afrique. On n'aura pas besoin de mêler les deux mots. Je veux que nos intérêts économiques soient défendus ; c’est normal, mais en même temps sans qu'il soit besoin d'avoir des marchés publics qui ne soient pas ouverts et transparents et quand nous avons des entreprises -j'en suis très heureux, je les soutiens, je les appuie et je les conforte- qui décident de s'investir, par exemple, dans un pays africain et qui réussissent à avoir la confiance des pays qui les accueillent, ces entreprises-là doivent être totalement transparentes et une partie de leurs bénéfices doivent se retrouver dans la vie des pays où elles ont été cherchées leur activité.
France 24 : Le Mali sera bien sûr au cœur de votre visite africaine. Le Conseil de sécurité des Nations Unies examine aujourd’hui la fameuse résolution sur l'intervention militaire au Mali. Ban Ki-moon que vous avez reçu à Paris, a dit qu'il voulait des négociations préalables. Vous, vous voulez aller vite. N’y a-t-il pas là un problème de calendrier ? Dans le fond, êtes-vous sur la même longueur d’ondes ?
Discuter ? Mais avec qui ? Avec des terroristes qui sont installés dans le nord du Mali ? Qui impose une loi, la charia, qui coupent des mains et qui détruisent des monuments jusque là considérés comme patrimoine de l'Humanité ? Discuter avec qui ? Avec Aqmi ? Qui peut imaginer qu'il puisse y avoir là des conversations qui puissent être utiles ? En revanche, s'il y a des forces politiques laïques -il y en a au Mali- qui veulent prendre leur part de la réconciliation nationale, c'est la responsabilité des autorités maliennes et je n'y ferai pas obstacle. En revanche, ce que je veux faire, pas au nom de la France, au nom de la de la paix, au nom des droits humains, c'est qu'il puisse y avoir une résolution aux Nations Unies, au Conseil de sécurité, dans les jours qui viennent, sur le principe d’une force qui pourrait être déployée si les Africains en décidaient, et ensuite il y aurait une autre résolution du Conseil de sécurité pour mettre en œuvre ce que pourrait être cette force.
TV5 Monde : Pensez-vous que le vote de cette résolution peut passer sans le véto chinois ou russe ? Moscou et Pékin n'ont-elles pas plutôt intérêt à s'opposer à une intervention militaire ?
Non parce que la lutte contre le terrorisme est partagée par tous les grands pays. Ils savent les risques, les risques d'abord pour les populations concernées, pour toute la région du Sahel, les risques pour les Etats, les risques aussi pour nos propres Nations car nous pouvons être touchés par un terrorisme qui s'est installé dans la zone du Sahel, avec le trafic de drogue, le trafic d’armes, celui qui vient notamment de Lybie, et qui vit de tous ces trafics pour nourrir des passions haineuses et maintenant occupe un territoire. Toutes les Nations sont conscientes de l'enjeu. Je pense qu'au Conseil de sécurité il y aura une volonté de mettre en place cette force d'intervention mais je veux être très clair, c'est aux Africains d’en décider. D'abord, c'est le gouvernement malien uni, Premier Ministre et Président, qui l’a demandé ; c'est la CEDEAO qui aura à organiser cette force avec l’Union africaine ; je salue d'ailleurs son Président qui a été très actif pour accélérer les choses.Et nous, nous serons loyaux par rapport à ces partenaires et nous serons respectueux de la légalité internationale. Si on nous demande notre appui logistique, c'est-à-dire du matériel, un certain nombre d'informations, nous les fournirons.
France 24 : Sans troupes au sol ?
Il n’y aura pas d’hommes au sol, pas de troupes françaises engagées.
France 24 : Un soutien aérien ?
Il ne nous est pas demandé.
RFI : Et s'il est demandé ?
Nous ne pouvons pas intervenir à la place des Africains. On peut donner un appui matériel, on peut former, mais la France n'interviendra pas.
RFI :Justement, Monsieur le Président, une intervention militaire au Mali ne peut se faire qu'avec le soutien actif de l'Algérie. Or, en ce moment, l'Algérie semble plutôt privilégier une solution négociée, diplomatique. Vous allez vous rendre dans quelques semaines à Alger, comment allez-vous convaincre votre homologue, Abdelaziz Bouteflika, de s'impliquer militairement en cas d’intervention militaire au Mali ?
L'Algérie a payé un tribut suffisamment lourd pour lutter contre le terrorisme pour que je vienne lui donner la leçon. Elle sait ce qu'il y a à faire et ce qu’il y a à redouter. En revanche, il est vrai que l’Algérie regarde aujourd'hui avec distance une possible intervention.
RFI : Prudence…
Donc à moi de rassurer l'Algérie, dire ce qui va se passer, c'est l’affaire des Africains. Ce qui doit se faire, c’est lutter contre le terrorisme. Ce n’est pas de faire je ne sais quelle occupation d’un territoire. Enfin, ce sont les Maliens eux-mêmes qui doivent en décider. Aujourd'hui même, il y a une grande manifestation à Bamako où les Maliens sont descendus dans la rue en disant « nous voulons retrouver notre intégrité territoriale, nous voulons lutter contre le terrorisme ». Entendons aussi le message des autorités du Mali, de la population du Mali qui est privée aujourd’hui d'une partie de son territoire. Je n’oublie pas les gens qui souffrent, des femmes qui sont violées, des enfants qui sont enrôlés, des hommes qui sont massacrés et des monuments qui sont profanés.
TV5 Monde : On parle beaucoup de cette force africaine. Elle serait de 3 000 hommes. Est-ce que ce serait suffisant pour couvrir un territoire aussi vaste ? On parle quand même d'une superficie qui fait deux fois la France !
Vous avez raison, il ne s'agit pas simplement de mener une intervention pour les Africains, mais ensuite de stabiliser cette région, de permettre qu'elle retrouve une vie normale, qu'il y ait une intégrité du Mali, mais aussi une administration du Mali. Nous sommes donc prêts à soutenir, à aider matériellement, vous l'avez rappelé, mais c'est aux Africains et aux autorités maliennes, de trouver la réponse durable. C’est pourquoi j’insiste sur l’aide, pas simplement matérielle, l'aide que nous devons donner au Mali, et d'ailleurs aux pays de cette région, Niger, Mauritanie et autres, pour qu'ils assument leur développement parce que c'est la misère, c'est la pauvreté ! Il existe aujourd’hui tous les risques d’une crise alimentaire, d’une crise sanitaire. Donc nous devons aider aussi ces pays à vaincre ces fléaux.
TV5 Monde : Très concrètement, comment cette aide va-t-elle se matérialiser ? Ce sera du matériel, de la formation, de l'appui au sol ?
Distinguons. Pour ce qui est de l'aide aux pays, l'Europe fait un travail considérable, que je veux saluer -pas seulement la France, l'Europe tout entière- pour apporter un soutien au développement des pays qui sont touchées par ce que l’on appelle la « crise sahélienne ». Mais concernant maintenant l'opération qui pourrait être décidée par le Conseil de sécurité, mise en œuvre par les Africains, la CEDAEO et l’Union africaine, je le répète, la France appuiera son aide logistique, donnera un certain nombre de moyens matériels et fera en sorte de former les personnels qui seront éventuellement envoyés dans cette partie du territoire malien.
France 24 : On l’a vu, il y a en France des cellules islamistes. L’une d’entre elles a été démantelée. En déclarant la guerre à Aqmi, ne craignez-vous pas d'importer cette forme de terrorisme en France, qui existe puisque la menace intérieure est très présente ?
C’est en laissant Aqmi, c’est-à-dire al-Qaïda, prospérer dans le Sahel, que je ferai courir un risque à mon pays parce que le terrorisme peut venir de là. Nous avons même appris qu'il y avait eu des ressortissants français au Mali, comme il y en a en Somalie, comme nous pouvons en trouver en Syrie, et qui ensuite peuvent revenir dans leur pays avec des visées terroristes. Je ne peux pas l'accepter. Il faut donc couper la route des terroristes. Il faut donc avoir une politique internationale. C'est ce que je veux faire au Mali. Mais en même temps, nous avons aussi un terrorisme qui peut être ici présent en France sans qu'il y ait de connexion avec des zones extérieures. Donc nous devons y veiller ; c'est ce qui vient de se produire par l'interpellation d'un certain nombre de personnes. Aujourd'hui, bon nombre ont été déférées. Nous irons jusqu'au bout de nos enquêtes parce que les Français doivent être protégés. Mon devoir, ma responsabilité, avec le Gouvernement, est de veiller à tout surveiller, tout remarquer, tout identifier, pour qu'il n'y ait aucune possibilité d’une action terroriste.
RFI : Cette intervention militaire au Mali ne risque-t-elle pas de mettre en danger la vie des otages français retenus par Al Qaïda au Maghreb islamique dans le nord du Mali ?
Non. Nous avons six otages au Mali, quatre dits « les otages d’Arlit » et deux autres qui ont été capturés il y a deux ans. Nous faisons en sorte que toutes les pistes, tous les contacts soient utilisés pour les libérer. Une vidéo a été diffusée il y a quelques jours. Nous faisons en sorte de comprendre les messages qui nous sont adressés et d'avoir un certain nombre de contacts. Je ne peux pas vous dire en dire plus, mais comprenez-moi bien, vous pensez que la position de la France peut être dépendante d’une prise d'otages ? Nous avons deux devoirs : libérer nos otages et libérer le Mali du terrorisme.
RFI : Ne sont-ils pas contradictoires ?
Ils ne sont pas contradictoires. Au contraire même, je pense que les ravisseurs savent bien ce qui peut arriver, donc peuvent être dans une disposition de relâcher le plus rapidement possible nos ressortissants. D'ailleurs, puisque je suis devant vous, je m'adresse à tous. Qu'ils m'entendent bien s’ils sont devant l’écran ou la radio : nous voulons la libération de nos otages et nous ferons tout pour qu'il en soit ainsi.
France 24 : Monsieur le Président, avez-vous le sentiment qu'il existe en France un islam radical anti occidental et antisémite ? Puisque la communauté israélite a été visée, est-elle en droit de s'inquiéter aujourd’hui ?
D'abord il y a des musulmans qui veulent pratiquer leur culte pacifiquement, dans la démocratie, dans le respect de l'autre, dans la grande tolérance qu’est cette religion dans son histoire. Donc nous ne devons faire aucun amalgame. Il y a des cellules -je ne sais pas encore de quelle importance, des enquêtes sont en cours- qui veulent faire de l'islamisme radical une cause de haine et d'agression. Nous ne les lâcherons pas, nous les pourchasserons et nous les éliminerons.
TV5 Monde : Vous déclarez la guerre à Aqmi et aux terroristes ?
Je n’ai pas à utiliser des mots qui laisseraient penser que nous sommes dans cette situation. Nous sommes simplement en vigilance, en surveillance et en intransigeance. Je peux vous rassurer, si c'est possible, nous ne laissons aucune piste, aucun terrain sans que nous soyons présents et actifs.
RFI : Monsieur le Président, le Qatar s'apprête à investir 50 millions d’euros en France et en particulier dans les banlieues. Cette forme de coopération un peu inédite est-elle vraiment opportune dans le contexte actuel ?
C'est une annonce que le Qatar avait faite avant mon élection. Cela partait sûrement d'une bonne démarche, venir en soutien, en solidarité, avec les talents de nos banlieues. Il y en a d'ailleurs de nombreux, comme d’entreprises qui se créent et qui ne demandent qu’à prospérer.
RFI : C’est le Premier ministre qui a donné le feu vert.
Oui. J’ai proposé une autre méthode. Le Qatar veut investir dans nos banlieues, sur nos territoires, très bien, acceptons cette proposition. Mais nous le ferons ensemble. Un fonds franco-qatari va donc être créé auprès de la Caisse des Dépôts ; donc les décisions seront prises ensemble. Ce n'est pas un pays qui va choisir le talent, l'entreprise qu'il veut soutenir.
TV5 Monde : Vous n’êtes pas inquiet pour la souveraineté de la France ?
Mais nous avons un fonds équivalent avec les Chinois ! Donc, chaque fois qu'un pays, petit ou grand, plutôt riche, nous dit qu’il veut investir, très bien, nous leur répondons « nous allons le faire ensemble parce que nous pouvons vous dire ce qui est stratégique, ce qui ne l'est pas, ce qui peut être utile à vous, à nous ». C’est ce qui va se faire avec le Qatar.
France 24 : Monsieur le Président, le Qatar a un rôle trouble ; on le voit aujourd’hui en Syrie, où visiblement beaucoup de rebelles syriens sont armés et financés par le Qatar....
RFI : Sans parler du Mali aussi où l’on parle également du Qatar...
Soyons le plus précis possible. C'est votre rôle et c’est mon devoir. Le Qatar soutient l'opposition à Bachar el-Assad après avoir été, dans l'histoire récente, un de ses soutiens. Il est dans l’opposition. Il veut favoriser l'opposition, nous aussi. Nous disons donc qu’il faut fédérer l'opposition et préparer l’après Bachar el-Assad. Cette transition doit être une transition vers la démocratie, pas vers le chaos. C'est-à-dire que l’opposition doit réunir toutes les forces de l'intérieur, de l'extérieur, qui demain, voudront une Syrie libre et démocratique. Le Qatar a sa place, il peut aider, soutenir, et nous le faisons en bonne intelligence.Mais pour nous, il n’est pas question de fournir des armes à des rebelles dont nous ne saurions rien des intentions.
France 24 :Non, mais celles qui sont repérées par les chancelleries, celles qui ont conquis des territoires ?
J'ai demandé que les territoires qui ont été libérés puissent être protégés. Ensuite, j’ai dit au Qatar, mais pas simplement, qui mène des œuvres humanitaires dans un certain nombre de pays dont le Mali « faites attention, vous pensez parfois être dans l'humanitaire et vous pouvez, sans que vous soyez pour autant responsable, vous retrouver financer des initiatives qui peuvent être au bénéfice des terroristes. Les autorités du Qatar m’ont répondu qu’elles sont extrêmement vigilantes par rapport à cela et je veux les croire. Je suis dans une position où je ne laisse rien passer.
RFI : Leur avez-vous demandé de participer à cette grande coalition qui va se mettre en place pour la reconquête du Mali ?
Ce n'est pas à moi de dire qui doit en être, qui ne doit pas en être. J'ai simplement dit que c’était les Africains qui devaient en prendre l'initiative. Les Africains et seulement les Africains.
France 24 : Monsieur le Président, dernière question sur la Syrie. La situation est totalement bloquée à cause bien sûr du véto russe et chinois. En attendant, la communauté internationale se contente de condamner et de tergiverser, mais dans le fond, est-ce que l’après Bachar el-Assad n’est-il pas une préoccupation tout aussi importante que le conflit actuel ? Si Bachar el-Assad partait, il y aurait un risque d’Irakisation et de conflits interconfessionnels qui deviendraient immaîtrisables.
Plus tôt Bachar el-Assad partira, plus sûre sera la transition en Syrie. Plus le conflit dure, plus les risques ensuite sont grands, risques d'abord de guerre civile et risques de chaos après, ou de partition. Je m'y refuse. Donc la France est aux avant-postes. Elle a beaucoup été regardé ces dernièrs mois depuis mon élection.* Qu’avons-nous fait ? C'est nous qui avons demandé que l’opposition puisse se réunir, ce qui a été fait au mois de juillet ici à Paris, et se fédérer dans un Gouvernement provisoire. Nous avons été les premiers à le dire. Les premiers à dire aussi qu'il fallait protéger les zones libérées. Les premiers à faire en sorte qu'il puisse y avoir une aide humanitaire. C'est ce que nous faisons en Jordanie. Les premiers également à dire que nous devons nous coordonner pour que les personnes déplacées ou réfugiées puissent être accueillies dans bonnes conditions, notamment pour l’hiver qui arrive. Premiers à dire que nous devons tout faire pour que Bachar el-Assad parte et que nous trouvions une solution, y compris proche de lui. J’ai entendu la proposition de la Turquie par rapport au vice-président ; il y a des personnalités encore en Syrie qui peuvent être des solutions de transition, mais m'il n'y a pas de compromis avec Bachar el-Assad.
TV5 Monde : Vous avez évoqué la Turquie. Le conflit syrien déborde des frontières strictement syriennes pour justement toucher la Turquie en ce moment. Ne craignez vous pas une escalade du conflit, un conflit armé entre Ankara et Damas ?
C'est un risque et la Turquie s’est particulièrement retenue. Je veux saluer l’attitude de ses dirigeants car il y a eu des agressions, des provocations ; la Turquie fait tout pour éviter ce déchaînement qui serait d'ailleurs dans l'intérêt de la Syrie, créer un conflit international qui pourrait souder la Syrie contre un agresseur supposé venant de l'extérieur. Donc nous devons tout faire pour que la révolution syrienne ne fasse pas débordement en Turquie, au Liban, en Jordanie. Ma responsabilité est très grande parce que la France veut que le Liban garde son intégrité. Ma responsabilité est grande parce que je soutiens ce qui se passe en Jordanie, là aussi, un processus démocratique et des réfugiés qui sont quand même sont très nombreux.
TV5 Monde : Avez-vous parlé de cela à vos homologues russe et chinois ?
Bien sûr… Avec M. Poutine j'ai eu un long entretien là-dessus. Je lui ai dit, je peux donc vous le répéter : « vous voulez éviter, et nous sommes d'accord avec vous, le chaos, le fondamentalisme, le terrorisme, vous voulez éviter que la Syrie devienne un champ ouvert à un certain nombre de forces occultes et dangereuses. Nous aussi. Eh bien plus tôt vous cesserez votre soutien à Bachar el-Assad, plus vous serez sûrs que vous éviterez ce chaos.
France 24 : Etes-vous sûr de ces rebelles syriens ? Cette rébellion est très fractionnée. Cela va des djihadistes à l’ASL, et à d’autres que l’on ne connait pas. La France ou les pays occidentaux ne devraient-ils pas armer les rebelles qui sont identifiés pour qu'ils se protègent des bombardements et que les armes ne tombent pas dans de mauvaises mains ?
Mais c'est bien tout le problème ! Quand vous vous fournissez des armes, vous ne savez jamais où elles finissent. Je prends l'exemple de la Lybie. Si nous avons aujourd'hui ce qui se passe au Mali, c'est bien parce que des armes ont été livrées dans n'importe quelles conditions et qu'après la fin de Kadhafi, ces armes se sont expatriées. Et où sont-elles allées ? Justement dans des zones où vous pouvez les acheter pas cher et c’est Aqmi qui les a reprises. Je suis donc extrêmement vigilant au nom de la lutte contre Bachar el-Assad, nécessaire au nom de la démocratie. Ne faisons pas non plus n'importe quoi qui ensuite alimenterait le terrorisme.