Assurant officiellement la gestion des affaires courantes avant la prise des fonctions de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), la Commission électorale indépendante (CEI) est-elle en droit de prendre des « décisions fondamentales », notamment la publication du calendrier électoral des scrutins de 2011 ? « Non », répondent l’Opposition politique et la société civile qui l’accusent d’« usurpation de pouvoir ». Alors que la Majorité lui reconnaît le droit d’agir dans ce sens pour recadrer le processus électoral. Des divergences qui augurent la fougue électorale de 2011.
La Commission électorale indépendante (CEI) a publié lundi 9 août 2010 à Kinshasa le calendrier du processus électoral qui s’étend sur la période de 2010-2013.
Le nouveau cycle électoral court du 2 septembre 2010 (déploiement des kits et du matériel de révision du fichier électoral) au 8 août 2013 (élection des maires et maires adjoints), en passant par le 1er tour de la présidentielle et les législatives (27 novembre 2011) chevauchant la campagne électorale des élections provinciales (24 janvier-24 février 2012).
Mais, à l’analyse de la situation ainsi créée, il se pose un problème de légalité de cette décision.
En effet, la loi portant organisation de prochaines élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales n’ayant pas encore été votée et promulguée par l’organe légalement chargée d’organiser les prochaines élections, à l’occurrence la CENI, personne – excepté son bureau – ne sait à quel « titre », en quelle « qualité » et jouissant de quelle « légitimité » la CEI a pris cette « décision fondamentale ». La controverse est totale, après ce que certains qualifient de turpitude d’une institution qui refuse de disparaître.
Qu’est-ce qui aurait donc motivé l’abbé-président à agir de la sorte ? Etait-ce un ballon d’oxygène pour mesurer la réaction de la population ? Si tel est cas, qui en serait alors l’initiateur ?
Des questions sur lesquelles l’opinion entend voir la CEI réagir pour lever toute forme d’équivoque.
REMONTEE DANS LE TEMPS
Pour rappel, la loi électorale n°06/006 du 9 mars 2006, prise en application de l’article 5 de la Constitution, fixe clairement « les conditions d’organisation des élections et du référendum », traçant clairement le périmètre d’action de la CEI.
Aux termes de l’article 2 de cette loi, la CEI « est chargée de l’organisation du processus électoral notamment de l’enrôlement des électeurs, de la tenue du fichier électoral, des opérations de vote, du dépouillement et de la proclamation des résultats provisoires ». En vertu de la même loi, la CEI « assure la régularité du processus électoral ».
Mais, c’est sans compter avec l’ordonnance-loi du 28 juillet 2010 qui en instituant la CENI, a, par parallélisme de forme, déchargé de la CEI de toute forme d’implication dans le processus électoral, limlitant son rôle dans le temps en attendant la mise en place du bureau de la CENI.
Se consacrant à la formule classique, l’ordonnance-loi stipule à son article 56 que : « La présente loi (Ndlr : celle créant la CENI) abroge toutes les dispositions antérieures contraires (Ndlr : celles portant sur la CEI) et sort ses effets à la date de sa promulgation ».
Dès lors, la CEI, dans le format fixé par la loi n° 04/009 du 5 juin 2004, n’avait plus droit de fixer les règles se rapportant au processus électoral, devant, en toute logique, s’effacer face à la CENI.
S’agissant alors de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) instituée aux termes de l’article 211 de la Constitution, la loi du 28 juillet 2010 fixe clairement ses prérogatives. On reconnaît ainsi à la CENI – dès la date du 28 juillet 2010 – les compétences de « l’organisation du processus électoral, notamment de l’enrôlement des électeurs, de la tenue du fichier électoral, des opérations de vote, de dépouillement et de tout référendum ». La même loi le charge d’assurer « la régularité du processus électoral et référendaire ». Assurer la régularité du processus électoral sous-entend boucler tous les mécanismes se rapportant au scrutin électoral, partant de la loi électorale jusqu’à la promulgation des résultats des élections à tous les niveaux, en passant, bien évidemment sur le calendrier électoral.
Pourquoi a-t-il feint d’ignorer les nouvelles règles de jeu fixées par la loi du 28 juillet 2010 ? Pourtant, dans son exposé des motifs, il a été clairement mentionné que : « Les attributions conférées à la Commission (Ndlr : CENI) sont celles accordées par la loi n° 04/009 du 5 juin 2004 à la Commission Electorale Indépendante et améliorées dans le cadre de la présente loi ».
Aussi, déjà, par la forme, la CEI ne pouvait pas se prévaloir de mêmes prérogatives que la CENI. Mutatis mutandis, la CEI ne devait en aucune manière se substituer dans quelque domaine que ce soit à la CENI.
Mais, elle l’a fait au regard de sa décision du 9 août 2010 portant calendrier du processus électoral, passant outre toutes les règles de droit. Des réactions n’ont pas tardé.
FERME CONDAMNATION DE LA SOCIETE CIVILE
La Nouvelle société civile congolaise (NSCC) accuse la CEI d’« usurpation » d’un pouvoir qui ne lui est pas attribué. « Nous ne pouvons pas comprendre que la CEI, qui a été appelée à assurer les affaires courantes, puisse s’arroger le pouvoir de confectionner un calendrier électorale. Elle se précipite à publier le calendrier électoral, alors que la loi électorale, elle, demeure jusqu’à présent inexistante », a réagi mardi son président, Jonas Tshiombela. Interrogé par Le Potentiel, il a affirmé que « la CEI n’a pas le pouvoir de confectionner le calendrier électoral, dès lors que la loi instituant la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a déjà été promulguée », évoquant par ailleurs l’absence de « préalables relatifs à l’organisation des élections, notamment le recensement de la population ».
Et quand bien même elle l’aurait, « la CEI veut partir sur des bases très fragiles, comme si elle n’avait pas tiré les leçons des élections organisées en 2006, en réitérant ses erreurs du passé et en projetant de commencer par les élections présidentielles pour finir par les élections urbaines, municipales et locales », s’est insurgé le président de la NSCC.
« Je suis de ceux qui pensent que la priorité pour la CEI demeure le paiement des arriérés de salaires de son personnel », a-t-il recommandé, avant de dénoncer « le caractère irréaliste du calendrier électoral publié par la CEI ».
L’OPPOSITION DENONCE…
L’opposition politique, extra ou institutionnelle, soutient que « la CEI, qui assure la gestion des affaires courantes et qui est toujours adepte de la politique consistant à mettre la charrue devant les bœufs, ne peut pas prendre des décisions fondamentales qui relèvent de la CENI ».
L’Union pour la démocratie et le progrès social pense que, « l’urgence, c’est de mettre d’abord en place la CENI, voter la loi électorale au Parlement et la promulguer avant la diffusion du calendrier électoral par la CENI ». « En réalité, tout est fait par les gouvernants pour éviter d’anticiper les élections provinciales, urbaines, municipales et locales. C’est la preuve évidente de leur volonté de procéder aux élections avec les personnes déjà préparées à avantager un seul parti politique », a constaté Me Joseph Mukendi, membre de la direction politique issue du premier congrès de l’UDPS.
« Malgré toutes ces irrégularités, l’UDPS va se présenter aux prochaines élections. Elle a choisi de jouer le match sur leur propre terrain, avec leurs supporteurs et l’arbitre choisi par eux, car nous sommes sûrs de notre victoire », a-t-il assuré.
Interrogé, le député national Jean-Claude Vuemba, président du Mouvement du peuple congolais pour la République (MPCR), a dit au Potentiel qu’« il est inconcevable que la CEI, malgré la promulgation de la loi portant fonctionnement et organisation de la CENI, continue d’agir comme si de rien n’était ».
« La CEI est là pour assurer les affaires courantes et non pour nous sortir un calendrier électoral sans tenir compte de la loi électorale à venir. C’est ça la soif du pouvoir de son président et la preuve de l’usurpation du pouvoir de la CENI. Nous comprenons qu’il est habitué au pouvoir. Mais, ce qu’il vient de faire à travers son brûlot, c’est tout simplement mettre des peaux de bananes sous les pieds de la CENI », a-t-il déploré.
Le député élu de Kasangulu (Bas-Congo) veut que l’élection des sénateurs puisse passer au suffrage universel pour éviter la corruption des députés provinciaux. « Avant toute implication de l’opposition politique, nous devons commencer par les élections locales. Il est inadmissible que les supplétifs du ministre de l’Intérieur - maires, conseillers urbains, bourgmestres, conseillers municipaux et chefs de secteurs nommés par les partis au pouvoir – puissent nous amener aux élections », a-t-il averti.
Il a également stigmatisé un « hiatus », celui de l’absence de recensement de la population congolaise, malgré le constat amer fait par le PNUD. « Ni le gouvernement, ni les politiques de ce pays, personne ne peut dire avec exactitude le nombre exact des Congolaises et Congolais. Avec 5 millions de morts dans l’Est de la RDC, toutes les données sont faussées », a-t-il encore déploré.
LA MAJORITE RELATIVISE
La majorité au pouvoir a une autre lecture du calendrier électoral élaboré et publié par le CEI. « Le processus électoral est irréversible. Nous ne pouvons pas attendre que la CENI soit mise en place. Il faut faire avec les structures que nous avons. Avec la CENI, il y aura tout simplement la poursuite du processus électoral », a déclaré mardi le secrétaire exécutif adjoint de l’Alliance de la majorité présidentielle (AMP), Louis Koyagialo.
A propos de l’absence de la loi électorale portant organisation de prochaines élections générales et qui n’a pas encore été votée au parlement, il a fait remarquer que celle de 2006 « n’a pas encore été abrogée ».
Pour lui, la loi électorale de 2006 « reste valable », arguant que, « dans le fond, il n’y a pas grand-chose à y modifier » en rapport avec le projet soumis à l’examen du Parlement et qui déterminera les attributions de la CENI.