Un suspect classé numéro un va répondre absent à la Cour militaire de Kinshasa/Gombe où s’ouvre ce vendredi matin le procès des assassins présumés du directeur exécutif de l’ONGDH La Voix des Sans Voix. Qu’importe ! Les Congolais sauront enfin la vérité, notamment sur ce qu’est devenu le chauffeur de Floribert Chebeya, Fidèle Bazana.
« A l’issue des enquêtes, la lumière sera faite à la nation sur les circonstances ayant occasionné la mort de Floribert Chebeya Bahizire », avait promis en juin dernier le chef de l’Etat. Il s’ouvre, ce vendredi devant la Cour militaire de Kinshasa/Gombe, le procès de huit prévenus, dont seuls cinq seront « présents » à l’audience publique. Il s’agit d’un colonel (Daniel Mukalay), d’un major, d’un lieutenant, d’un sous-lieutenant et d’un adjudant, tous des services spéciaux de la Police nationale congolaise. Ils doivent répondre des griefs d’« association de malfaiteurs, enlèvement, assassinat et terrorisme » dans le dossier de l’assassinat de Floribert Chebeya Bahizire (47 ans).
« En fuite », deux majors et un adjudant seront jugés par défaut pour les mêmes faits et pour « désertion », selon le greffe cité par l’AFP.
Après la commission du crime, le chef de l’Etat avait, par le biais de son conseiller spécial en matière de sécurité Pierre Lumbi, promis à la veuve Chebeya que « les criminels impliqués, de loin ou de près, seront traqués jusqu’à leur dernier retranchement ».
Le Conseil supérieur de la défense, qu’il avait réuni en présence du procureur général de la République, avait suspendu de ses fonctions « à titre conservatoire » le lieutenant-général John Numbi. L’inspecteur général de la PNC avait eu un rendez-vous « manqué » avec Floribert Chebeya, qui était accompagné de son chauffeur Fidèle Bazana. Ce dernier est aujourd’hui porté disparu.
Les experts légistes néerlandais, qui ont réalisé l’autopsie du corps de Floribert Chebeya le 11 juin, ont dit dans leur rapport avoir relevé des « lésions cutanées superficielles (...) avec épanchement de sang », sur les poignets, avant-bras et jambes. Ils ont évoqué la possibilité d’un « garrottage serré, la mise en place des liens, des coups, des heurts » qui, toutefois, n’auraient « pas joué un rôle significatif » dans la mort. Ils ont conclu que « M. Chebeya a succombé à un arrêt cardiaque après avoir subi de mauvais traitements ».
CHERCHER LA VERITE
Le procès qui s’ouvre ce jour est très attendu. Toutefois, un os est détecté dans le processus. Il s’agit de l’absence de l’inspecteur général de la PNC parmi les huit prévenus déférés devant la Cour militaire de Kinshasa/Gombe. De deux choses, l’une. Soit, le responsable de la PNC est soustrait aux poursuites judiciaires soit il aura droit, vu son rang, à un procès à part. Dans tous les cas, les Congolais n’ont cure d’une justice à double vitesse. Au contraire, ils ont besoin de la manifestation de toute la lumière.
La Voix des Sans Voix s’en inquiète dans un communiqué de presse : « Le transfert du dossier devant la Cour militaire signifie que seuls les autres suspects, en l’occurrence le colonel Mukalay et consorts comparaîtront devant cette juridiction alors que des plaintes et autres éléments ont été mis à charge du n°1 de la Police nationale congolaise par les familles biologiques victimes et la VSV ».
Or, le président de la République, Joseph Kabila, avait présidé le samedi 5 juin à Kinshasa une réunion extraordinaire du Conseil supérieur de la défense dont l’ordre du jour portait sur « la mort de Floribert Chebeya, président de la Voix des Sans Voix ». « Le chef de l’Etat a informé les membres du Conseil de l’enquête judiciaire à l’office du Procureur général de la République en vue de déterminer les circonstances exactes de cette mort. Le Conseil rassure l’opinion que cette enquête sera menée en toute objectivité et transparence par la justice congolaise », avait rapporté le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Adolphe Lumanu Mulenda Bwana N’sefu.
La « suspension, à titre conservatoire », de l’inspecteur général de la Police nationale congolaise, John Numbi Banza Tambo, était destinée à « permettre un déroulement serein de l’enquête diligentée sur la mort de Floribert Chebeya », avait-il expliqué.
Les premiers éléments d’enquête avaient abouti à l’interpellation de ce dernier et à l’arrestation de certains officiers de la PNC.
A l’heure où s’ouvre le procès, il semble que le lieutenant-général Numbi n’est justiciable que devant la Haute Cour militaire et non devant la Cour militaire. La Cour militaire « ne juge que des officiers de grade égal ou inférieur à celui de colonel », selon les renseignements obtenus par la VSV.
C’est dans cet ordre d’idées que les ONGDH attendent encore la réponse du chef de l’Etat à leur requête du 24 septembre 2010 sollicitant la nomination le plus tôt possible de deux magistrats militaires de grade et rang de lieutenant-général ou à défaut le commissionnement de deux hauts magistrats militaires de la Haute Cour militaire et de l’Auditorat général des FARDC pour besoin de la cause.
Quant à la VSV, elle s’insurge contre un plan visiblement préétabli, visant à organiser une parodie de justice qui, au lieu de faire éclater la vérité à travers une justice juste et équitable entre les mains de l’Etat voudrait blanchir des suspects sur l’autel des intérêts politiques et partisans, consacrant ainsi l’impunité en RDC.
Somme toute, on espère que les « aveux » du colonel Mukalay, celui-là même qui aurait « mis en cause » l’inspecteur général de la PNC en disant aux enquêteurs n’avoir été qu’un « simple exécutant », éclaireront les zones d’ombre de l’affaire Chebeya. Particulièrement, en ce qui concerne la disparition mystérieuse du chauffeur Fidèle Bazana.
Selon le coordonnateur du collectif des avocats, les parties civiles (familles Chebeya et Bazana, VSV) seront représentées par « une trentaine d’avocats » dont trois Français, y compris le président d’Avocats sans frontières/France. « Nous allons chercher la vérité, aller jusqu’au bout pour poursuivre les commanditaires et les exécutants de l’assassinat de Foribert Chebeya », a déclaré à l’AFP Me Joseph Mukendi.