Interpellé par la justice belge en avril 2008 à Bruxelles à la suite d’un mandat d’arrêt émis à sa charge par le Procureur de la CPI (Cour Pénale Internationale), placé en détention préventive puis transféré à la prison de La Haye en juillet de la même année, l’ancien vice-président congolais, Jean-Pierre Bemba, va jouer aujourd’hui à quitte ou double. Si le procureur Luis Ocampo parvient à emporter la conviction des juges quant à sa responsabilité dans les crimes de guerre, pillages, viols et autres atteintes aux droits de l’homme à sa charge, il est parti pour un long bail pénitencier, en attendant l’ouverture effective de son procès.
Par contre, si ses avocats conseils arrivent à démontrer le caractère infondé des faits lui imputés, son mandat de sénateur ainsi que son avenir politique restent saufs. Une victoire judiciaire à ce stade apporterait à lui-même ainsi qu’à son parti politique, le Mouvement de Libération du Congo (MLC), des dividendes politiques inestimables en prévision de toutes les échéances politiques à venir, d’ici 2011, tant au niveau des élections locales, législatives, présidentielles que sénatoriales.
Où sont passés Patassé, Bozizé et autres ?
Au moment où s’annonce, au niveau de la Cour Pénale Internationale, l’audience de confirmation des charges dans ce que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier d’affaire Bemba-Ocampo, l’on ne peut ne pas s’interroger au sujet des derniers réglages politiques intervenus en République Centrafricaine. En effet, à la faveur d’un forum de réconciliation nationale convoquée et organisée le mois dernier à Bangui par le président François Bozizé, le peuple de ce pays semble avoir passé l’éponge sur son passé.
L’ancien président Ange Patassé, parti en exil depuis mars 2003 et accusé de tous les maux, dont les cas des morts, pillages, viols et atteintes aux droits de la personne humaine à Bangui et sa périphérie, au même titre que Jean-Pierre Bemba, a été gracié. En retour, il a lui aussi pardonné à François Bozizé, qu’il tenait pour responsable des crimes de guerre et économiques dans les événements d’octobre 2002 à mars 2003 à Bangui.
Par ailleurs, l’avocat des présumées victimes de l’armée de Jean-Pierre Bemba est mort accidentellement en fin d’année dernière, ce qui fait penser à un coup fourré des autorités centrafricaines, qui auraient ainsi éliminé un témoin gênant dans le dossier de Bemba à la CPI. Dès lors que les Centrafricains ont pris le parti de se pardonner, d’ « effacer le tableau », de solder les comptes dans le contentieux de Bangui, d’aucuns se demandent si l’ancien vice-président congolais va continuer à porter seul la responsabilité des crimes de guerre et autres qui, logiquement, devraient avoir trois parrains politiques : Jean-Pierre Bemba, Ange Félix Patassé et François Bozizé.
Règlement des comptes ?
Nul n’ignore en effet que ce sont les militaires de ces trois acteurs qui s’étaient retrouvés sur le théâtre des opérations, en sus des mercenaires libyens et tchadiens venus à l’appel de Patassé. D’où, pour nombre d’observateurs, laisser Bemba seul dans le box des accusés, à La Haye, pourrait donner à penser à un règlement des comptes. Aussi, certains trouvent anormal que Luis Ocampo s’acharne sur le sénateur congolais, au sujet de qui il a donné l’impression d’avoir du mal à réunir les pièces à conviction, alors qu’il est de son devoir de creuser aussi dans la cour de Patassé et Bozizé.
En tous les cas, les juges de la Cour Pénale Internationale se trouvent devant un délicat challenge, celui de démontrer à l’opinion congolaise que l’affaire Bemba est instruite, au stade pré juridictionnel, dans la transparence et l’équité. Il leur appartient de leur ôter le doute qui les porte à croire que la CPI voudrait briser la carrière politique de celui qui parait de plus en plus comme l’un des principaux leaders de l’opposition tant institutionnelle qu’extraparlementaire.
La justice internationale, qui soutient ne tenir compte ni de la nationalité, ni des titres de ses justiciables potentiels, joue une carte décisive de sa crédibilité dans l’affaire Bemba, d’autant que jusqu’à ce jour, elle n’a inquiété ni le président soudanais Omar El Béchir, ni le rebelle congolais Bosco Tanganda, encore moins le rebelle ougandais Joseph Kony éligible au tableau des crimes de guerre et crimes contre l’humanité. On ose croire qu’elle n’est pas engagée dans une traque sélective des présumés auteurs des crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Enfin, le fait que quatre Congolais soient pour le moment les seuls pensionnaires des cellules de la CPI à La Haye fait jaser, d’autant que dans le dossier de Bemba comme dans ceux de Thomas Lubanga, Germain Katanga et Matthieu Ngudjolo, on assiste à des remises répétitives d’audiences, ce qui allonge anormalement leur séjour pénitentiaire et surtout à des tergiversations évidentes du procureur Ocampo dans la finition des actes d’accusation. Est-il possible que dans le cas de Lubanga, la levée de la confidentialité des pièces par le Secrétariat général de l’ONU pose problème ? Les Congolais veulent être rassurés que la CPI ne chemine pas, dans l’affaire Bemba, vers une justice à deux vitesses.