Luis Moreno O’campo n’aurait retenu aucun grief contre l’ancien président Ange-Félix Patassé encore moins contre tout autre acteur centrafricain ou africain ayant participé à la guerre dont les effets ont donné lieu au procès qui l’oppose à Jean-Pierre Bemba devant la CPI et dont l’ouverture a eu lieu hier lundi à La Haye. La défense, représentée par Me Liriss NKuebe, a plaidé non coupable, en révélant que le président du MLC avait agi sous le couvert de l’Union africaine et de la SADC. Ce qui impliquerait la responsabilité des autorités centrafricaines de l’époque.
A considérer les déclarations du bureau du Procureur Luis Moreno O’campo, des représentants légaux des victimes et celle de la défense du prévenu Jean-Pierre Bemba Gombo devant la chambre de première instance III à l’ouverture de l’audience d’hier lundi, la bataille s’annonce âpre entre l’accusation et la défense devant la Cour pénale internationale (CPI).
D’entrée de jeu, le bureau du Procureur a soutenu ne pas avoir des preuves sur Ange-Félix Patassé, le président en fonction qui avait pourtant fait appel au leader du MLC. Selon l’accusation, François Bozizé, rebelle à l’époque, encore moins Ange-Félix Patassé, n’auraient pas eu d’armée ou de troupes au moment de la commission des faits ; seules les troupes du Mouvement de Libération du Congo (MLC) auraient régné en maître sur le terrain des opérations en République Centrafricaine.
« Au début, nous pensions que Bemba et Patassé étaient les plus responsables mais les éléments de preuve montrent que les troupes qui ont commis les crimes étaient sous le contrôle de Bemba », a déclaré Luis Moreno O’campo
Selon l’accusation, le président Ange-Félix Patassé n’avait pas le contrôle sur les troupes du Mouvement de libération du Congo (MLC). Ils ont argué que Jean-Pierre Bemba, autoproclamé général, avait la capacité d’empêcher, de réprimer et de punir les soldats fautifs. Mais, il n’a rien fait.
Toujours selon l’accusation, pour ces crimes commis entre 2002 et 2003, Jean-Pierre Bemba aurait donné des instructions à ses troupes leur disant que toute personne rencontrée en Centrafrique est un ennemi. Ces éléments n’auraient pas fait de différence entre les combattants et les civils.
L’accusation allègue aussi qu’après la commission des crimes, Jean-Pierre Bemba n’a pas demandé à ce que des enquêtes sérieuses soient ouvertes. Le bureau du Procureur a fait voir qu’à la Cour martiale installée en son temps par Jean-Pierre Bemba, aucune victime centrafricaine n’a été appelée à témoigner.
L’accusation a affirmé que les membres de famille étaient forcés de voir comment leurs femmes et filles étaient violées. Les soldats du MLC auraient pillé les biens des civils en toute impunité et emporté leurs butins en RDC.
Elle a enfoncé le clou en déclarant que les forces du MLC auraient massacré les civils qui s’opposaient aux viols et aux pillages. « Il a récompensé ses troupes pour ces crimes, au lieu de les punir… », a laissé entendre l’accusation.
Comme il fallait s’y attendre, les représentants légaux des victimes ont abondé dans le même sens. Ils ont fait état de l’existence des certificats médicaux attestant la commission des viols et autres crimes, même si souvent les femmes préfèrent le silence.
Selon eux, les viols, souvent collectifs, étaient utilisés comme arme de guerre. « En majorité, ce sont des personnes vulnérables, rejetées aujourd’hui par la société. Beaucoup sont infectées, certaines sont mortes et d’autres se sont suicidées », ont ajouté les représentants des victimes. .
Bemba non coupable, selon la défense
Son tour venu, Me Liriss Nkwebe, l’un des avocats de Jean-Pierre Bemba, a rappelé aux juges qu’ils ne peuvent statuer que sur base des preuves et non sur les émotions. Il a trouvé que son estimé confrère de la partie adverse avait plaidé en dehors du procès. Il est resté catégorique pour soutenir que les accusations portées contre son client sont dénuées de tout fondement.
Me Liriss Nkwebe a fait un constat amer. Selon lui, 42 millions d’euros ont été dépensés pendant au moins cinq ans pour une enquête partiale et bâclée. Il a expliqué qu’à cause de l’insuffisance d’éléments de preuves, l’accusation a trouvé une astuce, en prétendant que Jean-Pierre Bemba s’apprêtait à fuir.
Après avoir émis des doutes sur les vingt-deux témoins qui viendraient déposer sur les prétendus mille cas de viols et tous les biens de la Centrafrique qui auraient été transportés en RDC, l’avocat s’est attardé sur la responsabilité partagée avec l’ancien président centrafricain Ange-Félix Patassé. Il s’est dit étonné d’entendre le procureur Luis Moreno déclarer qu’il n’y avait aucune preuve à charge de Patassé, que personne dans la hiérarchie militaire centrafricaine n’a été cité comme témoin ; étant entendu que plusieurs commandants centrafricains ont participé à cette guerre.
Me Liriss Nkwebe a posé le problème de la personne qui a incarné le commandement et le contrôle effectif des troupes au moment des faits. Il a fait voir aux juges qu’au lieu d’appeler ceux qui faisaient partie de la chaîne de commandement, l’accusation les a totalement oubliés pour se rabattre sur des témoins de seconde zone et s’acharner sur Jean-Pierre Bemba qui se trouvait à 2000 km de Bangui.
Qualifiant le procès en cours d’injuste, Me Liriss Nkwebe a révélé qu’à l’époque, le gouvernement centrafricain avait réuni des troupes de différents pays qui agissaient comme une seule armée sous l’uniforme centrafricain ; sans oublier qu’ils étaient équipés et nourris par le Trésor centrafricain. « Ne faudrait-il pas que le gouvernement centrafricain soit appelé à la barre pour la manifestation de la vérité ? », s’est-il interrogé.
Il a émis des doutes sur la légitimité de l’enquête menée par Luis Moreno, lequel est appelé à instruire à charge et à décharge. Il reste d’avis qu’il sera difficile d’établir la responsabilité de Jean-Pierre Bemba en tant que commandant. Cela, du fait que la responsabilité du chef hiérarchique incombait au chef suprême de l’armée centrafricaine.
Autre révélation de Me Liriss Nkwebe : le MLC n’était pas une milice, et encore moins une rébellion. Il a indiqué qu’il s’agissait d’une administration reconnue par l’ONU et toute la communauté internationale. Il a fait voir aux juges de la CPI que le déploiement incriminé est intervenu à la suite d’une résolution de l’Union africaine, et de la résolution d’Alger qui interdisait toute prise de pouvoir par la force.
Il a comparé l’intervention du MLC à celle de l’EUFOR au Tchad et de l’OTAN en Serbie. Il s’est demandé si l’OTAN ou l’EUFOR ont été tenus responsables de crimes commis. Il a fait savoir que les actes posés par un Etat qui a été appelé sont imputables à l’Etat bénéficiaire. Me Nkwebe a dit que la défense mettait au défi l’accusation de prouver que la RCA s’était dépouillée de sa souveraineté militaire au profit de Jean-Pierre Bemba, que celui-ci pouvait, à plus de 2000 km de distance, coordonner des opérations sur le terrain.
Pour finir, la défense a rappelé les seules paroles prononcées par Jean-Pierre Bemba à l’une des audiences : « Je veux être jugé, non seulement pour prouver mon innocence, mais aussi pour laver mon nom envers ma femme, mes enfants et mon père ». Fondant en larmes, il a regretté que ce père soit décédé en allant justement se battre pour sauver son fils. La dernière prière de Me Liriss Nkwebe a été : « Un seul impératif s’imposera à vous : acquitter Bemba ».
Quatre heures avant le procès, une conférence de presse s’est tenue au siège de la CPI. Les journalistes de la République démocratique du Congo ainsi que ceux de la Centrafrique ont pu y participer en vidéoconférence.
Les intervenants ont souligné l’importance capitale du respect des droits des parties et des participants à la procédure judiciaire devant la Cour. Le Greffier de la Cour, Mme Silvana Arbia, a affirmé que « seul un procès équitable permettra à la justice de remplir son rôle dans l’établissement d’une paix durable et de lutter efficacement contre l’impunité des crimes qui […] touchent l’ensemble de la communauté internationale, et heurtent profondément la conscience humaine ».
« Jean-Pierre Bemba a utilisé une armée entière comme un instrument pour violer, piller et tuer des civils en République Centrafricaine. Aujourd’hui, il est appelé pour rendre compte du fait qu’il n’a délibérément pas empêché, réprimé ou puni les atrocités de masse commises par ses hommes en RCA », a déclaré le Procureur de la CPI, Luis Moreno O’campo, en ajoutant que « dans l’ère de la CPI, il s’agit du sort qui est réservé aux commandants militaires qui autorisent leurs troupes à mener de telles tactiques de commandement pour des raisons stratégiques ».
« Les victimes méritent que justice soit rendue et surtout, qu’elles y participent », a affirmé Mme Arbia. Les représentants légaux des victimes ont, à leur tour, souligné le rôle de la Cour pour mettre fin à l’impunité et empêcher la répétition des atrocités du passé. « Plus jamais ça », a affirmé Me Marie-Edith Douzima-Lawson, représentante légale des victimes, alors que Me Assingambi Zarambaud a avancé que « quelque soit la longueur de la nuit, le jour finira par paraître ».
Me Paolina Massidda, conseil principal du Bureau du conseil public pour les victimes, qui soutient les équipes représentant les victimes, a souligné que les aspirations des victimes sont de « briser leur silence et briser le silence du monde sur les évènements terribles auxquels elles ont été confrontées », ce qui constitue un « premier pas vers l’établissement de la vérité et vers un accès à la justice ».
Prenant la parole en dernier lieu, l’équipe de Défense de M. Bemba, composée de Me Nkwebe Liriss, Me Aimé Kilolo Musamba et M. Nick Kaufman, a soutenu que « l’Etat centrafricain, sous la Présidence de Patassé, avait la libre disposition des troupes congolaises de l’administration du MLC, qui combattaient sous leur drapeau, et répondait de leurs actes ».