S’étant longtemps mis à l’écart du grand débat sur la révision de certaines dispositions de la Constitution, notamment celle touchant au mode de scrutin présidentiel, le Chef de l’Etat, Joseph Kabila Kabange, a réuni hier lundi 10 janvier dans sa ferme de Kingakati, sur la route de Bandundu, les ténors de la Majorité. Là où l’Opposition s’agite, le chef de l’Etat a tenté de calmer le jeu. La présidentielle à un tour ne profite nullement à la Majorité. Au contraire, c’est « un risque partagé », pense-t-il, qui peut tout autant se retourner contre la Majorité.
La rencontre était voulue sympathique et familiale pour échanger les vœux à l’occasion de la nouvelle année 2011. Mais, c’était aussi une occasion pour les ténors d’échanger les idées et pensées autour de grands enjeux politiques du moment.
Chefs des partis, membres du gouvernement, députés et sénateurs ainsi que des personnalités indépendantes proches de la Majorité, ont tous répondu à l’invitation de la ferme présidentielle de Kingakati, sur la route de Bandundu.
Comme en témoignent les propos recueillis auprès des personnalités qui ont été associées à cette cérémonie.
Sobre et décontracté, le président de la République s’est voulu avant tout rassembleur, cherchant à ramener le débat politique sur terre, loin de toute passion. Lorsque l’Opposition politique s’agite autour de la proposition de révision du mode de scrutin présidentiel à un tour, Joseph Kabila s’est montré plutôt conciliateur, évitant de prêcher pour une seule église, en l’occurrence celle de la Majorité. Mais, c’est dans les faits que le président de la République a ramené le débat.
Pour lui donc, le scrutin présidentiel est cette voie du réalisme qui doit permettre à la RDC non seulement d’organiser les élections dans le délai mais aussi d’éviter le désastre en cas d’impossibilité de réunir les conditions techniques et matérielles requises pour un scrutin à deux tours. De toute façon, a-t-il fait savoir, nul ne part gagnant dans un scrutin présidentiel à un tour, dès le départ. Mais, c’est prenant en compte les réalités du terrain, et devant les contingences financières que ce mode de scrutin se révèle salvateur pour le pays.
La vérité des chiffres
Quelle est donc cette vérité des chiffres qui légitimerait un scrutin présidentiel à un seul tour ? Pour dissiper tout malentendu, le chef de l’Etat est allé par une remontée dans le temps. En 2006, a-t-il dit, les élections ont couté 546 millions Usd, dont une bonne partie financée par la Communauté internationale. En 2011, il en faudra 715 millions Usd, a indiqué le chef de l’Etat pour organiser dans des conditions plus au moins optimales des élections libres, transparentes et démocratiques. Or, à ce jour, a-t-il poursuivi, ainsi que renseignent des sources présentes à la rencontre de Kingakati, le gouvernement, qui s’est engagé à hauteur de 60%, n’a pu débloquer que 120 millions Usd. Par contre, la Communauté internationale, qui a promis de contribuer à concurrence de 40%, n’a, à ce jour, débloqué, sous forme d’appui logistique, que l’équivalent de 80 millions Usd. Et, rien ne rassure que cette communauté internationale est prête à délier davantage le cordon de sa bourse pour faire plus.
C’est devant cette impasse qu’est donc née la proposition d’un scrutin présidentiel à un seul tour. Car, de l’avis du chef de l’Etat, le scrutin à un tour permet à la nation d’épargner près de 230 millions Usd. Faudrait-il encore que le gouvernement parvienne à mobiliser sa part de 60% du budget électoral.
Or, dans le contexte actuel, cet effort relève de l’utopie. En interne, la faible capacité de mobilisation des recettes de l’Etat ne favorise pas une telle option. De même en externe, notamment en espérant un appui conséquent en termes de pas-de-porte, des recettes exceptionnelles susceptibles d’être affectées au budget sont tout aussi aléatoires qu’incertaines. Déjà, la RDC doit faire face à un acharnement des fonds vautours qui ont immobilisé en sa défaveur près de 175 millions Usd.
Loin de susciter des inquiétudes et des agitations dans la classe politique, la chef de l’Etat fait remarquer que le choix d’un scrutin présidentiel tient plus à la raison qu’au calcul politicien. Il y a, en perspective, un « gros piège » tendu à la RDC. Ce piège qui précipiterait le pays dans le désastre et le chaos. C’est notamment dans l’hypothèse où, compte tenu de ses maigres moyens, le gouvernement ne parvient d’organiser dans le délai constitutionnel les élections.
Pour le président de la République qui l’a redit devant ses invités à Kingakati, la classe politique congolaise doit dépassionner le débat en mettant en avant de ses analyses le seul intérêt du pays. Le scrutin présidentiel à un tour a l’avantage de permettre au pays d’être à la fois maître de ses élections et responsable de son destin. Dans la mesure où, ce mode de scrutin correspond à la capacité du pays à faire face au coût du budget électoral. Pour Joseph Kabila, tout doit être fait pour éviter que la RDC ne retombe dans le grand piège lui tendu au bout de l’année 2011 ; celui d’un vide juridique à la fin constitutionnelle du mandat en cours.
La présidentielle à un tour profiterait donc tout autant à la Majorité qu’à l’Opposition. En fin de compte, a estimé le président de la République, c’est « un risque partagé ». Chacun peut perdre ou gagner au premier tour – rien n’indique que seule la Majorité en serait la grande gagnante.
Ainsi, s’il y a quelque chose à éviter, c’est d’entraîner la RDC vers un vide juridique où le pays serait une fois de pris en otage par des conciliabules qui retarderaient davantage le grand effort national de reconstruction déjà perceptible dans différents provinces de la République. Tout doit donc être fait pour ne pas rater les élections de 2011, a réitéré le chef de l’Etat devant les ténors de la Majorité, réunis hier lundi 10 janvier à Kingakati.
Le décor est planté
Au Parlement, seule institution habileté à trancher sur la question d’une éventuelle révision de la Constitution, le décor s’est déjà mis en place. A la Chambre basse du Parlement, c’est aujourd’hui mardi que la question devait être soumise à la plénière. Le Sénat, quant à lui, devait aménager, en conférences des présidents, son calendrier pour inscrire le sujet à l’ordre du jour de sa session extraordinaire. Tout compte fait, avant la clôture le 15 janvier 2011 de la session extraordinaire du Parlement, les deux Chambres devront donc se retrouver en congrès pour trancher définitivement sur la question de la révision constitutionnelle.
Outre le point portant sur l’impératif d’une révision constitutionnelle, le chef de l’Etat a fait, à l’attention de ses hôtes, l’état des lieux de la situation sécuritaire sur l’ensemble du territoire. Hormis quelques poches de résistance – du reste – maîtrisables dans le Nord et le Sud-Kivu, il a fait savoir que la situation est « de plus en plus stable » par rapport aux deux années antérieures.
En ce qui concerne la neutralisation des FDLR, le chef de l’Etat a souligné que des dispositions sont prises par voie diplomatique pour les anéantir. Cependant, il a déploré le recrutement d’une milice au départ de Brazzaville par le général Faustin-Benoît Munene. A ce jour, a-t-il indiqué, un groupe de 75 jeunes relevant de cette milice ont été arrêtés au niveau de Maduda dans le Bas-Fleuve (Bas-Congo). Aussi, a-t-il appelé l’ensemble de la population congolaise à la vigilance pour que des pêcheurs en eaux troubles ne brisent pas l’élan de reconstruction de plus en plus visible depuis quelques années.
Par rapport à la rencontre de Kingakati, il faut dire que bien avant la communication du chef de l’Etat, c’est Louis Koyagialo, secrétaire exécutif adjoint de l’AMP, qui a été le premier à prendre la parole.
Outre la traditionnelle cérémonie d’échanges des vœux, cette rencontre était l’occasion d’échanger sur les questions grandes politiques de l’heure, notamment celles portant sur la révision constitutionnelle et la nouvelle loi électorale.
Introduisant ces deux sujets, il a regretté l’attitude de l’opposition qui « prend le plaisir de se victimiser, de mentir, et cherche par tous les moyens à bloquer toute initiative pour organiser les élections dans le délai ». A cet effet, il a invité la Majorité à « jouer pleinement son rôle » pour que l’année 2011 soit celle de la victoire de Joseph Kabila à la magistrature suprême.
Tout se joue avant le 15 janvier
A Kingakati, les ténors de la Majorité sont allés repenser la stratégie. Autour du chef de l’Etat, la voie à suivre et l’attitude à adopter ont été transmises à tous les membres de la plate-forme pour qu’aucune distraction ne sème le désordre dans ses rangs. Tous devront donc marcher à la même cadence.
Premier parti de la Majorité, le PPRD a d’ores et déjà tracé la voie. D’autres partis de la mouvance présidentielle ne devraient pas tarder à lui emboîter le pas.
Devant la presse qu’il a réunie lundi à l’hôtel Invest, le professeur Emile Bongeli a été à la fois clair et limpide. « Le PPRD, a-t-il déclaré, ne trouve pas de raisons profondes de tiraillement autour de cette question, dont l’Opposition voudrait se servir à la fois pour jeter de doute dans l’esprit de la population et discréditer auprès de la Communauté internationale les institutions légalement issues des élections de 2006 ».
A Kingakati, la consigne a été donnée. La Majorité soutient donc la révision constitutionnelle qu’elle votera à l’issue du débat qui aura lieu, avant le 15 janvier 2011, au Parlement.