La Commission Electorale Indépendante (CEI) a sorti, il y a un mois, le calendrier électoral devant ordonnancer les prochains scrutins présidentiel, législatifs, sénatoriaux, urbains, municipaux et locaux, entre 2011 et 2013. A cette occasion, un communiqué émanant du ministère de la Communication et des Médias a mis en garde les professionnels de la politique comme ceux des médias contre le lancement de la pré-campagne électorale.
Sur le terrain cependant, tout se passe comme si la campagne électorale est déjà ouverte. Ministres, députés nationaux et provinciaux, sénateurs, gouverneurs de province, chefs des partis et regroupements politiques s’investissent à corps perdus dans des réunions politiques au cours desquelles ils exhortent leurs « bases » à leur apporter le maximum des voix dans les urnes. En guise de mise en condition, ils distribuent argent, boissons, pagnes, polos, savons, huile, sucre, sel, médicaments, vélos. Des fonds sont débloqués illico presto pour jeter des ponts de fortune sur des rivières, à Kinshasa comme en provinces, équiper des écoles en bancs, payer les factures des malades insolvables dans les hôpitaux, aménager des bornes-fontaines, doter des clubs de football et d’arts martiaux de vareuses, ballons, kimono, tatami, etc. Qui a dit que la campagne électorale n’a pas commencé ?
Mende, Lutundula, Kamitatu, Kin-Kiey, Luandanda, Kashala, Kiakwama…
En République Démocratique du Congo, le droit à la contradiction a du mal à prospérer. Depuis quelques semaines en effet, la campagne électorale, qui ne dit pas son fond, se déroule dans un climat d’inquiétante intolérance politique. Au mois de mars 2010, une affaire de Jeeps mal distribuées dans la zone de santé du Sankuru, au Kasaï Oriental, avait tourné à une « guerre » fratricide entre Tetela de la savane et Tetela de la forêt, avec à la clef des cas d’incendie des maisons à Lodja, Lomela, Katako-Kombe, Wembonyama, Kole...
Selon un rapport circonstancié du Conseil de sécurité de la province, ce déferlement de violences était attisé par des partisans du ministre Lambert Mende et ceux du député national Christophe Lutundula. L’un et l’autre se donneraient des coups en-dessous de la ceinture pour le contrôle électoral de leur terroir.
A Masi-Manimba et à Kikwit, l’ARC (Alliance pour le Renouveau du Congo) d’Olivier Kamitatu et le P.A. (Parti d’Action) de Tryphon Kin-Kiey Mulumba sont sur le pied de guerre. Les échauffourées entre leurs cadres et militants respectifs ne se comptent plus. Naturellement, les deux camps se rejettent la responsabilité dans ces actes de violence et de haine qui n’honorent pas la démocratie.
Le dimanche 15 août, le village de Luandanda, près de Kananga, au Kasaï Occidental, a été le théâtre d’affrontements sanglants entre des policiers de la garde rapprochée du gouverneur Trésor Kapuku et des villageois opposés à l’arrestation du chef coutumier Luandanda. Un mort et des blessés graves ont été enregistrés sur le « champ de bataille ». Renseignements pris, il s’avère que ces tristes événements ont un rapport étroit avec la guerre de positionnement que se livrent le gouverneur Kapuku et des acteurs politiques originaires du territoire de Demba, où se trouve le village Luandanda.
La semaine dernière, plusieurs rédactions de Kinshasa ont accueilli dans leurs boîtes électroniques un communiqué de l’UREC (Union pour la Reconstruction du Congo) faisant état de la traque dont serait l’objet sa Secrétaire générale, Marie-José Kimpiobi, de la part des « services spéciaux ». Pour le parti d’Oscar Kashala, pareille situation constitue un très mauvais signal pour la prochaine campagne électorale et rappelle « l’expérience malheureuse des arrestations, des intimidations, des accusations mensongères de faux complots des mercenaires, des menaces et abus lors de la campagne de 2006 » connue par son leader.
Il y a 48 heures, c’est le député national Gilbert Kiakwama, qui a arrosé les téléphones portables des journalistes et acteurs politiques d’un texto très alarmant. L’homme se plaignait du torpillage de la conférence qu’il avait commencé à donner dans un site fermé de la ville de Boma et de la mise à sac des chaises par des militants d’un parti politique bien connu du coin. Ainsi, son plan de contacts avec la « base » du Bas-Congo, de Moanda à Kasangulu, dans le cadre de ses vacances parlementaires, se trouve complètement faussé.
Le ministère de l’Intérieur interpellé
Il y a une dynamique que personne ne peut plus arrêter : c’est la fièvre électorale qui s’est emparée de tous les états-majors politiques, au niveau de la majorité au pouvoir et de l’opposition parlementaire. C’est la gué-guerre entre personnalités politiques, non pas sur base de leur appartenance politique mais plutôt de leurs circonscriptions électorales. Un politicien qui estime être le maître dans un district ou un territoire n’accepte pas la présence de la concurrence. Et tout est fait pour mettre le prétendant K.O. avant la sortie de la loi électorale.
Les patriotes en appellent à une réaction urgente du ministère de l’Intérieur pour la mise sur pied d’un dispositif sécuritaire de nature à gérer les dérapages qui s’annoncent un peu partout. Le sang a déjà coulé au Sankuru, à Luandanda, à Kikwit et à Masi-Manimba.
D’aucuns pensent que des consignes strictes devraient être données aux responsables de la territoriale et de la police pour anticiper et combattre l’intolérance politique.
S’il est vrai que la campagne électorale n’a pas encore été officiellement lancée, l’on devrait alors interdire formellement des actes de tricherie que l’on observe tous les jours à travers le pays. Dans le cas contraire, que le droit à la parole et la contradiction soit accordé à tous ceux qui veulent s’exprimer en prévision des élections de 2011. Au fait, ce ne serait pas une mauvaise chose que des politiciens organisent des « universités », des congrès, des conclaves, des conférences-débats, des séminaires idéologiques, en ciblant clairement les rendez-vous électoraux à venir. Ce qui ne serait pas correct, c’est que le silence soit imposé aux uns, pendant que d’autres échangent chaque jour avec leurs « bases ».