Dans son dernier message à la nation à l'occasion du 49ème anniversaire de l'indépendance de la RDC, la Président de la République, après avoir fait un sévère " réquisitoire " sur l'administration de la justice, annonçait des mesures pour tirer les conséquences des recommandations issues de la dernière assemblée du Conseil supérieur de la magistrature. Alors que les commentaires à ce sujet n'ont pas fini de déferler dans l'opinion et que le pavé des Evêques catholique sur la corruption alimente les débats, Joseph Kabila est passé à l'acte en signant des décrets portant révocation, permutation et mise en retraite des magistrats à tous les niveaux de la magistrature.
Tout le monde a été pris de court par la rapidité de la réaction, mais aussi l'envergure du tsunami. Le Ministre de la justice, Luzolo Bambi Lesa, se trouvait, mercredi soir, à la rédaction de la RTNC pour suivre, comme les autres congolais, la lecture des décrets.
Les rédactions, désemparées, ont vainement cherché à obtenir copie de ces décrets pour publication. Jusqu'au moment où nous mettons sous presse, les copies des différents décrets n'étaient toujours pas disponibles. Qu'à cela ne tienne, les lecteurs ont envahi les rédactions des journaux en espérant y trouve le précieux docuement pour consultation. Le service de presse de la Présidence, lui aussi, ne disposait pas d'une copie certifiée conforme pour diffusion.
Jeudi matin, les cours et tribunaux de la capitale étaient marqué par la surprise et le suspens par rapport à ce profond chambardement dont personne n'a suivi l'entièreté de la lecture sur la RTNC, qui a duré plus de deux heures. Magistrats assis et debout ainsi que les justiciables s'arrachaient littéralement les photocopies des pages des journaux qui ont publié quelques noms parmi la longue liste.
Au Tribunal de paix de Ngaliema, il s'observait de petits attroupements autour des photocieuses publiques ou des copies déjà disponibles. Quelques magistrats s'interrogeaient encore pour savoir si, ici, des changements ont été opérés, qui est parti, qui est arrivé, etc. Les audiences qui devaient avoir lieu ont ainsi été retardées. Aucun magistrat n'a voulu faire de commentaire. Mais dans les conversations captées, on pouvait clairement percevoir la surprise et le suspens quant à l'absence de l'information complète. " Qui vient ici ? " est la question qui dominait les échanges, sans obtenir de réponse précise.
Du côté des justiciables, les sentiments étaient aussi partagés entre l'expectative et une satisfaction mitigée. Une femme dont le dossier de succession était en cours, exultait : " Dieu ne dort pas, il exhausse toujours les prières de ses enfants ". La dame est en conflit avec sa belle famille qui lui a raflé, à elle et ses enfants, l'héritage de son défunt mari. Depuis huit mois, son dossier, selon ce qu'elle confiait à d'autres justiciables présents, semblait patauger ou tourner en sa défaveur et elle portait la situation sur la responsabilité du juge en charge de son dossier. Propos lancés à la cantonade à l'intention d'autres justiciables qui rapportaient, eux aussi, leurs misères en espérant que le dernier chambardement dans la magistrature apportera une solution aux injustices décriées dans l'administration de la justice en RDC. A ce propos, les magistrats, dans leurs conversations, hésitaient sur la position à adopter. Le sentiment général était que ce premier pas dans l'assainissement de la magistrature se suive des mesures d'accompagnement pour mettre les hommes en toge noir dans les conditions propices à la bonne administration de la justice. " les maux qui rongent la magistrature ne sont pas nécessairement le fait intrinsèque des hommes, mais bien de l'environnement et des conditions dans lesquels ils travaillent ", commentait un avocat à l'intention de ses confrères. Il notait également que " même ceux qui arrivent ne garantiront pas nécessairement l'équité et la qualité attendue aussi longtemps qu'ils ne disposeront pas des moyens et du traitement pouvant les mettre, eux et leurs familles, à l'abri des besoins. Il faut comprendre que chez nous le magistrat œuvre dans une justice pauvre dont le redressement nécessite de réunir toutes les conditions, en plus de la sanction à l'endroit des hommes. "
Un magistrat trouvé au Tribunal de Grande instance de Kinshasa/Gombe, qui a requis l'anonymat, avance deux arguments dans son analyse sur le limogeage de certains de ses collègues. Le premier se situe au niveau politique où il reconnaît au Président de la République le pouvoir constitutionnel de révoquer les magistrats. Le second est d'ordre juridique : " il est vrai que le Président nomme et révoque les magistrats, mais cela se fait seulement au niveau de l'acte. C'est le Conseil supérieur de la magistrature qui prépare les documents pour dire qui peut être promu, muté, mis à la retraite ou révoqué.
" Il faut vérifier si l'acte pris par le Chef de l'Etat se réfère à l'avis éventuel du Conseil supérieur de la magistrature ", conclue-t-il.
Dans le vieux bâtiment du Palais de justice, l'ambiance était plutôt morose, car les nouvelles mises en place ont créé un froid. Aussi bien au Tribunal de Grande Instance, à la Cour d'appel qu'au Parquet qui, tous, sont logés ici, il s'observait une faible fréquentation des lieux comme d'habitude. On se serait cru dans une journée fériée ou dominicale. Les magistrats commentaient diversement les décrets du Chef de l'Etat. " Révoquer c'est bien. Permuter ou nommer c'est aussi une bonne chose. Mais le vrai changement doit se faire accompagner des outils de travail et de la motivation qui répondent à la hauteur du travail abattu par les magistrats. Sinon, c'est le retour à la case de départ ", commente un magistrat.
" Nous saluons la décision du Chef de l'Etat, mais nous lui demandons de nous mettre dans des conditions qui nous permettent de bien travailler pour sortir la justice congolaise de son état actuel ", commente encore un autre magistrat qui ajoute : " Pour combattre la corruption, il convient de valoriser les magistrats et l'ensemble de l'appareil judiciaire. "
A la Cour suprême de justice, un autre magistrat estime que la problématique de l'assainissement dans la magistrature ne repose pas au niveau du limogeage ou des révocations. " La racine même de tout ce problème se situe au sommet de l'Etat, là où sévit gravement la corruption. La solution se trouve dans le changement de système. On peu beau changer d'individus, mais tant qu'on n'aura pas réformé le système, il y aura toujours des plaintes. "
Notre interlocuteur fait aussi observer que malgré les permutations et nomination de nouvelles têtes, cela ne signifie pas que les nouveaux promus sont immunisés contre les fléaux dont souffre la magistrature. Il ajoute que le Président de la République " doit être très exigeant vis-à-vis, non seulement des magistrats, mais aussi de l'ensemble des responsables politiques et tous ceux qui interviennent dans le système d'administration de la justice comme acteurs ou justiciables. " Si les Evêques catholiques ont élevé le ton, ce qui n'est d'ailleurs pas la première fois, c'est parce qu'ils ont remarqué que le pays a atteint le paroxysme de la corruption, des détournements des deniers publics et autres antivaleurs. La situation est générale et embrassement même le système de l'enseignement avec comme conséquence la chute de la qualité de l'enseignement ", poursuit notre interlocuteur. Et de conclure en disant qu' "il faut réhabiliter l'homme congolais dans ses droits en lui offrant le minimum dont il a besoin pour vivre, par exemple en appliquant le barème de Mbudi. "
Dossier réalisé par Jonas Eugène KOTA,
Dorian KISIMBA et Jean-Claude KITETE