L’affaire Chebeya ne rebondit pas. Elle atteint plutôt une étape intéressante avec l’audition des présumés coupables. Cité en début d’enquête comme donneur d’ordres, John Numbi, inspecteur général de la Police nationale congolaise, suspendu de ses fonctions depuis lors, est passé en audition le mardi 17 août 2010 devant l’auditeur général des Forces armées de la RDC. La justice militaire s’étant saisie du dossier, les jours à venir promettent des révélations sur les contours exacts de cet ignoble assassinat.
L’assassinat en juin dernier de l’activiste des droits de l’Homme et directeur exécutif de la Voix des Sans Voix pour la défense des droits de l’Homme (VSV), Floribert Chebeya, a suscité un émoi général autant en République démocratique du Congo que dans le reste du monde.
Tous, unanimement, ont appelé à la mise en place d’une commission d’enquête indépendante pour lever tout pan de voile sur cet assassinant.
Le gouvernement, en premier, s’était alors engagé à tout mettre en œuvre pour que lumière soit faite non seulement sur les circonstances exactes de ce décès mais surtout sur ses auteurs.
Concernant les présumés assassins de Chebeya, dès l’annonce de l’assassinat du directeur exécutif de la VSV, retrouvé mort dans sa voiture sur la route du Bas-Congo dans la périphérie de Kinshasa, un nom - et pas de moindres - a été cité comme présumé coupable. C’est celui de l’Inspecteur général de la Police nationale congolaise, le général John Numbi Banza.
RECONSTITUTION DES FAITS
Selon divers recoupements, Floribert Chebeya devait répondre la veille de son assassinat à une convocation de l’inspection générale de la Police nationale. Il n’est jamais retourné vivant de son lieu de rendez-vous. D’où, des soupçons de complicité mis à charge de l’inspecteur général de la PNC.
Aussi pour éviter toute forme d’amalgame ou d’empiétement à l’action judiciaire, le n°1 de la PNC sera suspendu de ses fonctions pour des raisons d’enquête.
Après un temps de flottement, la justice vient d’ouvrir l’instruction du dossier Chebeya. A en croire Radio France Internationale, qui a rapporté l’information mercredi matin sur son site Internet, le général John Numbi a été entendu, en présence de ses avocats et pendant toute la journée de mardi, par l’auditeur général des Forces armées de la RDC.
« C’est la première audition du général dans ce dossier. L’interrogatoire a duré toute la matinée et le général est reparti en début d’après-midi à son domicile en compagnie de ses avocats », indique RFI, faisant remarquer qu’à l’ouverture de cette instruction, « l’auditorat militaire a été placé sous haute protection le mardi 17 août. Tout autour des militaires en armes et dans les environs patrouillaient, d’autres militaires à bord de véhicules ».
Selon des sources proches de la justice militaire, approchées par RFI, d’autres interrogatoires devraient suivre. C’est le cas du colonel Daniel Mukalay, officier supérieur des services spéciaux de la PNC et proche du général John Numbi.
Le colonel Daniel Mukalay a été le premier officier de la PNC à être mis en cause dans l’affaire Chebeya. C’est également lui, renseignent des sources concordantes, qui aurait cité le nom du général Numbi, se défendant avoir agi sous ses ordres. La liste des gens à auditionner par la justice devait s’étendre jusqu’aux personnes ne relevant pas des services de la PNC. D’autres présumés meurtriers du directeur exécutif de la Voix des Sans Voix qui se trouvent déjà aux arrêts devaient aussi subir cette épreuve.
L’AUTOPSIE RESTE EVASIVE
Après l’annonce de la mort de Chebeya, un groupe de médecins légistes néerlandais avaient fait le déplacement de Kinshasa pour procéder à l’autopsie du corps du défunt. Mais, au terme de leur travail, auquel s’était joint un médecin légiste congolais, le rapport d’autopsie n’a pas pu établir clairement les causes du décès du directeur exécutif de la VSV.
Toujours est-il que le rapport a apporté néanmoins du nouveau pour l’enquête. Les médecins légistes néerlandais et congolais ont été formels sur un point, affirmant que Floribert Chebeya a été bel et bien tué
Dans leur rapport, ils mentionnaient avoir « trouvé des indications de contraintes externes limitées par choc, compression et/ou enserrement au niveau des bras et des jambes ». D’où, leur conclusion d’une mort par « arrêt cardiaque consécutif à des violences extérieures ». Toutefois, ils n’en ont pas spécifié le sens ni la forme, préférant laisser les services compétents reconstituer les faits pour établir les circonstances de ce qu’il fallait désormais appelé un meurtre, au regard du rapport de l’autopsie.
Devant une telle incertitude qui ne pouvait nullement expliquer les griefs portés contre les services de la PNC, le collectif d’ONG des droits de l’homme congolais, relayé par d’autres organismes internationaux, ont unanimement défendu l’option d’une enquête internationale pour tirer au clair cette affaire. Sauf que, pour le gouvernement, à défaut d’une commission d’enquête, seule la justice devait se saisir du dossier pour apporter toute la lumière.
Crime prémédité ou accident au cours d’une séance de torture ? Les commentaires sont allés dans tous les sens après la mort du directeur exécutif de la VSV. Premier à se prononcer sur ce meurtre, pour avoir assisté à la séance de torture qui aurait conduit à la mort de Chebeya, le colonel Daniel Mukalay aurait déclaré devant ce qui l’auditionnait qu’« il n’y avait pas intention de donner la mort ».
LES ZONES D’OMBRE
Pourquoi le directeur exécutif de la VSV a-t-il été soumis à la torture jusqu’à ce que mort s’en suive ? Qui avait donné l’ordre d’actionner la machine ? Et, pour quel but ? Des questions sur lesquelles la justice militaire devait s’appesantir pour que lumière soit finalement faite sur ce crime crapuleux qui a failli ternir les festivités du Cinquantenaire.
Malgré l’alibi brandi par la PNC, via le colonel Mukalay, certains criminologues, qui se sont exprimés sur le dossier, estimaient que « les raisons mêmes de l’invitation du directeur exécutif de la Voix des Sans Voix à l’inspection générale de la police peuvent être révélatrices d’un meurtre prémédité ». Suivant cette version, « la tentative de maquiller le crime ainsi que la disparition du chauffeur et beau-frère de Chebeya, introuvable jusqu’à ce jour, pensaient-ils, peuvent toujours, selon les mêmes criminologues, être des indices supplémentaires ».
Avec l’audition du général John Numbi, les plus sceptiques doutent encore de la capacité de la justice congolaise à mener jusqu’à terme cette instruction. Mais, au nom de la « Tolérance zéro », mot d’ordre réitéré récemment par le président de la République, l’opinion publique estime que l’appareil judiciaire a là une belle occasion de s’affranchir de sa torpeur et de prouver qu’il peut servir de gardien de la démocratie pour l’émergence d’un Etat de droit où tous sont censés être égaux devant la loi.
Pour rappel, le directeur exécutif de la VSV avait été retrouvé mort dans sa voiture le mercredi 2 juin 2010 en milieu de journée, allongé sur la banquette arrière de son véhicule, garé dans un endroit très visible, sur la grand-route qui mène au Bas-Congo. Fidèle Bazana, son chauffeur qui l’accompagnait et avec qui il avait aussi des liens de parenté, n’a jamais été retrouvé jusqu’à ce jour.
Selon les faits reconstitués par son ONG, la VSV, le lundi 31 mai, à la veille de sa disparition, Floribert Chebeya avait reçu une convocation pour aller rencontrer le chef de la Police nationale congolaise, le général John Numbi. Il s’était alors rendu le mardi 1er juin, vers 17 heures, aux bureaux de l’inspection générale de la police.
Moins d’une heure après, il parlera au téléphone avec son épouse, l’informant que son rendez-vous était annulé. Puis, ce fût le trou noir, jusqu’à la découverte le mercredi 2 juin dans la matinée de son corps inerte et sans vie sur la route de Matadi.