Personne, au stade actuel, n’est en mesure de dire où va nous conduire la crise en cours au sommet de l’Etat avec la démission annoncée par la chronique du président de l’Assemblée nationale. Vital Kamerhe qui est rentré dimanche dans la capitale sait que sa tête a été mise à prix et que tout est mis en œuvre, au sein de la coalition, pour obtenir sa démission de gré ou de force.
Le principal reproche fait au président de l’Assemblée nationale est d’avoir exprimé tout haut, le 21 janvier dernier, les inquiétudes de la majorité des Congolais sur les tenants et les aboutissants de l’opération conjointe rwando-congolaise dans la province du Nord-Kivu. Des inquiétudes qui ont valu à Vital Kamerhe d’être accusé d’avoir cherché à remettre en cause cette entente négociée au sommet de l’Etat, mais qui ont en revanche augmenté son capital de sympathies au sein de l’opinion nationale plutôt extrêmement vigilante sur tout ce qui concerne les relations entre Kigali et Kinshasa.
Pressions sur les membres du Bureau
Aux dernières nouvelles, nous apprenons qu’une énorme pression est exercée depuis quelques jours sur les membres du Bureau de l’Assemblée nationale, dont la démission devrait ainsi permettre d’isoler Vital Kamerhe et de l’amener à libérer son poste. Mardi dans la capitale, il était abondamment fait état de la double démission du premier Vice-président et de la Questeure adjointe de l’Assemblée nationale. Dans une lettre adressée à la plénière, Lutundula Apala, membre du MSR et juriste consommé, justifie sa décision par « des raisons politiques impérieuses ». Pour sa part, Mme Brigitte Kalaba de la CODECO évoque, dans une lettre adressée à toutes les institutions de la République, « des raisons de convenance personnelle ».
On pourrait ainsi parler d’une incroyable coïncidence. A cette exception près que s’agissant des autres membres du Bureau de l’Assemblée nationale, on n’était pas très avancé. Bien au contraire, il était question à la fois des pressions exercées sur chacun d’eux et des résistances que l’on sent se développer ici ou là dans le chef de certains de leurs collègues qui ne voient pas toujours d’un bon œil cette caporalisation de la démocratie congolaise.
Pour le reste, il n’est pas évident que l’acharnement à faire tomber à tout prix la tête de Vital Kamerhe soit du goût de l’opinion congolaise, d’autant plus qu’au-delà du dossier de l’opération conjointe rwando-congolaise, beaucoup d’observateurs ne manquent pas d’évoquer la thèse selon laquelle le véritable péché de Kamerhe serait d’avoir favorisé le vote d’une série de résolutions, datant du 14 janvier dernier, créant des commissions parlementaires chargées d’enquêter au cœur même du dispositif du régime congolais en procédant à des contrôles sur la gestion de différents services et institutions : gouvernement, armée, police, services de sécurité, mines et hydrocarbures, gouvernements provinciaux, entreprises publiques, Banque Centrale.
Crise au sommet ?
Dans la ville haute, des milieux généralement bien informés n’excluaient pas, mardi dans la soirée, des tentatives de sauvetage de la fragile démocratie congolaise par le biais de certaines chancelleries, mais personne ne pouvait en certifier l’issue au regard de la passion qui entoure ce dossier devenu une question d’orgueil personnel, sinon de vie ou de mort pour certains ténors de l’Alliance de la Majorité Présidentielle.
En principe, Vital Kamerhe devrait rester serein jusqu’au moment où ceux qui lui cherchent des poux seront obligés d’agir à visage découvert et d’exprimer publiquement leurs motivations réelles. Dans cette perspective, les démissions individuelles des membres du Bureau n’auraient aucune incidence sur le sort de Vital Kamerhe, dont on se souvient qu’il a été élu largement, avec 400 voix, au-delà du score que pouvaient réaliser son parti politique, le PPRD, et l’AMP. C’est donc par la même voie que le président de l’Assemblée nationale prendrait éventuellement la porte de sortie, sauf si une médiation sauve entre-temps les meubles ou si l’élu de Bukavu décide lui-même de rendre le tablier.
En tout état de cause, la question qu’il faudra se poser est celle de savoir si toute cette agitation devrait s’arrêter avec la seule démission de Vital Kamerhe. Plusieurs analystes se demandent en effet s’il ne faut pas anticiper des bouleversements et des repositionnements au sein de la majorité, au-delà du scénario largement vendu du simple départ du président de l’Assemblée nationale. Il en est de même de ceux des membres du Bureau de l’Assemblée nationale qui se précipitent à déposer leur démission : sont-ils sûrs de récupérer leurs postes demain ou est-il permis de penser que d’autres ambitions verront le jour au sein de leurs formations politiques respectives pour leur disputer les places au perchoir. Enfin, au grand dam des grands partis de la majorité qui n’ont pas toujours le contrôle des événements, ne faut-il pas craindre que l’AMP perde définitivement l’Assemblée nationale, ou que derrière toutes ces manœuvres se dessine le scénario d’un gouvernement d’union nationale ?