La campagne électorale a démarré lentement sur l'ensemble du territoire national. Bien qu'il y ait eu une amélioration dans la qualité de l'information diffusée par les partis politiques et les candidats, il existe cependant une tendance persistante à politiser et à dramatiser des questions purement techniques et relativement simples, ce qui mine injustement la confiance dans le processus.
La CEI doit améliorer sa stratégie de communication pour mieux expliquer ces questions, au grand public aussi bien qu'aux partis politiques. Par ailleurs, il est essentiel de renforcer la formation des agents électoraux durant la courte période qui reste avant le scrutin. Leur rôle est en effet crucial pour bâtir un climat de confiance envers les élections. De même, le fait que certains agents recenseurs et électoraux n'aient pas été payés, depuis le referendum, risque de perturber sérieusement les opérations de vote dans certaines régions si le problème n'est pas réglé.
Les autorités congolaises ont le devoir de garantir que le processus électoral se déroule dans un climat équitable et paisible. Certains acteurs gouvernementaux ont abusé de leur pouvoir d'état et ont violé les libertés des autres candidats et ont fait obstruction à leur campagne. Les forces de sécurité quant à elles doivent être impartiales, faire un usage modéré de la force et se conduire de façon professionnelle pendant la période électorale.
La Campagne électorale
La campagne électorale a débuté lentement, après son lancement officiel le 29 juin. Les observateurs de la Fondation Carter ont remarqué que les activités des différents partis politiques ont été relativement peu visibles, et qu'elles ont été concentrées essentiellement dans les centres urbains. Il existe une saine concurrence entre les différents partis politiques, mais cette concurrence varie beaucoup d'une région à l'autre. Le nombre important d'incidents de vandalisme sur les affiches de campagne démontre que les principes démocratiques n'ont pas été adoptés par tous. Plusieurs partis éprouvent des difficultés organisationnelles et financières et, en conséquence, limitent leurs activités de campagne tant en terme de durée que de couverture géographique.
Du fait de la couverture géographique limitée de la campagne électorale à ce jour, la Fondation Carter s'inquiète du fait que certaines parties de la population ne seront pas prêtes à faire un choix éclairé lors des élections du 30 juillet. Certes, il est inévitable que tous les partis politiques n'aient pas les mêmes moyens, ou la même volonté, pour diffuser largement leur message à l'électorat. Cependant, certaines mesures auraient pu être prises pour atténuer les disparités entre les partis politiques et contribuer à une plus grande équité. On aurait pu éviter ainsi que certains partis, par ailleurs sérieux et bien organisés, ne puissent communiquer leur message simplement par manque de moyens financiers. Il est regrettable que les partis actuellement au pouvoir n'aient pas jugé bon d'adopter le projet de loi sur le financement public des partis politiques qui répondent à certains critères de sérieux et de bonne foi. Bien que certaines initiatives de soutien à la formation des agents des partis politiques aient été financées par la communauté internationale, il est regrettable que cette dernière n'ait pas été en mesure d'accorder un appui matériel aux partis politiques, sous forme de services de base (impression, graphisme, etc.), comme nous le recommandions dans notre premier communiqué préélectoral. Les déséquilibres flagrants entre les ressources des différents partis, dans un pays tel que le Congo, où l'argent est rare et les défis logistiques énormes, nuisent à la tenue d'une campagne équitable. A cet égard, la Fondation Carter rappelle aux partis au pouvoir l'importance du principe de la transparence dans l'utilisation des deniers publics.
Un autre élément important pour une campagne démocratique est l'existence de fora permettant aux candidats de discuter librement des grands enjeux de l'heure. Lorsque ces débats sont organisés et présentés de manière efficace, ils sont très appréciés des électeurs, car ils leur permettent de voir et d'écouter les candidats directement plutôt qu'à travers le filtre des médias ou d'autres sources. Les débats télévisés réguliers entre candidats, organisés sur la chaîne nationale ainsi que sur les chaînes privées, constituent un pas positif dans cette direction. Malheureusement, certains candidats ont décidé de ne pas saisir cette occasion unique de présenter et de défendre publiquement leurs programmes ; c'eût été également une occasion pour les acteurs actuellement au pouvoir de défendre leur bilan.
Le temps d'antenne gratuit accordé à chaque candidat a permis d'améliorer la qualité de l'information fournie à l'électorat. Plusieurs candidats ont été en mesure de présenter aux électeurs leur projet de société, fournissant ainsi aux électeurs des éléments d'information pour un vote éclairé.
La Fondation Carter note cependant qu'il existe une tendance à dramatiser certaines questions marginales plutôt qu'à discuter des grands enjeux. Le débat actuel sur les bulletins de vote excédentaires en est un bon exemple. Il est techniquement nécessaire, et conforme aux normes électorales internationales, de fournir à chaque bureau de vote un nombre de bulletins de vote plus élevé que le nombre d'électeurs enregistrés. Ces bulletins serviront par exemple à couvrir le cas où (comme le permet la loi électorale congolaise) certaines catégories d'électeurs iraient voter dans un centre où ils ne se sont pas fait inscrire. Le surplus peut aussi servir au remplacement de bulletins abîmés par inadvertance-les observateurs de la Fondation Carter, par exemple, ont signalé un tel cas de bulletins endommagés pendant leur transport. Par ailleurs, les contraintes de temps et de logistique ont amené la CEI à distribuer un nombre égal de bulletins à tous les bureaux de vote, en dépit du fait que le nombre d'électeurs inscrits peut varier d'un bureau à l'autre, d'où des écarts qui peuvent être assez importants entre le nombre de personnes inscrites et le nombre de bulletins de vote distribués à tous les bureaux de vote.
La Fondation Carter estime que la CEI s'est conformée aux pratiques électorales acceptées en faisant imprimer des bulletins de vote excédentaires. D'ailleurs, les procédures mises en place pour la période électorale sont destinées à garantir que les bulletins non utilisés ne serviront pas à des fins frauduleuses. Les délégués des partis politiques et les observateurs électoraux auront la possibilité de vérifier que ces procédures ont bel et bien été suivies.
La Fondation Carter est consciente du fait que des questions techniques de ce genre peuvent donner lieu à des incompréhensions et elle recommande donc à la CEI de renforcer considérablement ses efforts - notamment par le biais de conférences de presse fréquentes et régulières - pour expliquer clairement ces questions au public, aux partis politiques, et au personnel de la CEI. Il n'est pas toujours nécessaire d'entrer dans le détail des décisions techniques, mais lorsque celles-ci suscitent des questions, il est indispensable de fournir rapidement des explications claires afin de renforcer la confiance de la population dans la gestion du processus électoral. En ce qui a trait à la controverse actuelle sur les bulletins de vote excédentaires, la CEI a perdu un temps précieux avant de réagir, et la réaction n'a pas été à la mesure du degré de protestation publique que cette question avait déjà suscité.
La Fondation Carter demeure cependant préoccupée par le peu d'efforts fournis par les partis politiques pour s'informer sur des questions techniques aussi simples. Certains partis préfèrent les accusations non fondées et la controverse plutôt que de chercher la solution à ces questions. Si la bonne volonté des partis ne peut être remise en cause, il est toutefois incompréhensible que les grands partis (composantes et entités), qui sont tous représentés au sein de la CEI, ne soient pas en mesure de s'informer sur ces questions techniques et d'éviter ainsi des réactions sans fondement.
La Fondation Carter appelle une fois encore tous les candidats à respecter les dispositions du Code de Bonne Conduite pour les Partis Politiques, code qui a été rédigé et adopté par les partis (et subséquemment amendé pour prendre en compte les regroupements politiques et les candidats indépendants). Les candidats devraient donc se concentrer sur la diffusion de leurs programmes politiques et de leurs visions pour le futur du Congo plutôt que de politiser certains aspects techniques du processus, ce qui ne peut que miner la confiance du peuple dans les élections.
Les médias
et la campagne électorale
Une presse libre et non biaisée constitue un élément essentiel
à toute démocratie. Pendant la campagne électorale, les
médias sont un instrument important pour les électeurs en quête
d'informations précises et impartiales sur les différents candidats
et sur les programmes des partis politiques. La Haute Autorité des Médias
(HAM) a mis en place des règles de bonne conduite pour les médias
pendant la campagne, mais nous constatons avec regret que ces directives ne
sont pas toujours suivies et que la HAM n'est pas en mesure de les faire appliquer.
Nous avons observé en particulier que les médias privés
(appartenant souvent à des groupes politiques spécifiques) ne
respectent pas les règles de couverture équitable dans leur reportage.
La Fondation Carter est préoccupée par certains incidents qui, depuis le début de la campagne, ont un effet alarmant sur la liberté de la presse, notamment l'assassinat non expliqué du journaliste congolais Bapuwa Mwamba. D'autres incidents suggèrent l'existence d'une ségrégation dans le choix des journalistes internationaux qui peuvent opérer en RDC. Nous appelons les autorités congolaises à assumer leurs responsabilités en garantissant un climat dans lequel la presse peut travailler sans interférence ou intimidation.
Responsabilités du Gouvernement
Les autorités gouvernementales ont la responsabilité d'assurer à tous les candidats le droit de faire campagne dans un climat de liberté qui respecte les principes démocratiques et les normes internationales en matière d'élections. Depuis la parution de notre premier rapport, il y a un mois, la Fondation Carter a constaté avec un vif regret un certain nombre d'actions posées par les autorités gouvernementales qui restreignent, directement ou indirectement les libertés politiques. En effet, des acteurs gouvernementaux ont délibérément essayé d'intimider ou de faire obstruction à la campagne de certains candidats, soit par des arrestations injustifiées, des tracasseries douanières en rapport avec le matériel de campagne de certains candidats, soit encore, selon certaines allégations, en intimidant des sociétés privées afin de les empêcher de mettre leurs services ou leurs installations à la disposition de certains candidats. Pareilles actions constituent de graves abus de pouvoir de la part du gouvernement ; elles créent des tensions entre les partis et peuvent mettre en péril un processus électoral juste et équitable. Aussi, la Fondation Carter appelle les autorités de la transition à se garder de toute activité pouvant nuire à la capacité des candidats de faire campagne en toute liberté et à l'intégrité du processus électoral.
Même s'il n'est pas directement lié aux élections, le massacre d'une douzaine de personnes par les forces de sécurité congolaises lors des manifestations du 30 juin au Bas Congo met en cause la capacité des forces de sécurité congolaises à réagir de manière appropriée - même lorsqu'elles sont provoquées. Au cours du mois prochain, les actions et les réactions des forces de sécurité ne peuvent manquer d'avoir une influence importante sur le climat électoral, et sur la participation de la population à ces élections.
Gestion des élections
La Fondation Carter
est persuadée que la CEI est capable de gérer les élections
du 30 juillet avec succès. Cependant, la livraison de certains matériels
et de certaines activités de formation ont déjà pris du
retard. La formation des agents électoraux constitue une préoccupation
majeure vu le rôle crucial qu'ils sont appelés à jouer,
à la fois pour le scrutin et pour la création d'un climat de confiance
des électeurs envers le processus électoral. En particulier, bien
que la CEI ait commencé à mettre en ?uvre un programme de
formation en cascade pour les agents de vote, plusieurs simulations mettent
en évidence un besoin urgent de renforcer et d'accélérer
les efforts actuels pendant le peu de temps qu'il reste avant les élections.
La Fondation Carter se demande aussi avec inquiétude comment certaines
décisions administratives prises tardivement - telles que celles visant
à résoudre des problèmes et clarifier les ambiguïtés
quant aux opérations de vote-seront communiquées de manière
efficace jusqu'aux plus bas niveaux, alors que les sessions de formation auront
déjà été effectuées. La Fondation Carter
encourage vivement la CEI à redoubler ses efforts pour communiquer ces
décisions et s'assurer qu'elles seront mises en application de manière
efficace et uniforme dans tout le pays afin de ne pas compromettre les opérations
de vote.
Fort malheureusement, nos observateurs signalent que la question du retard de
paiement du personnel de la CEI n'est pas encore résolue dans toutes
les parties du pays. Il est crucial que cette question soit complètement
résolue, et ceci de toute urgence, afin d'éviter des perturbations
des opérations électorales.
La Fondation Carter salue les récents efforts visant le renforcement des capacités de la Cour Suprême de Justice en matière électorale. Avec l'appui de la communauté internationale, un programme de formation pour les magistrats de la Cour leur a permis d'étudier à l'avance les problèmes qui pourraient surgir pendant et après les opérations électorales, et de rechercher des solutions juridiques consensuelles, basées sur la jurisprudence congolaise, africaine et internationale.
Education civique
Les efforts tardifs de la CEI pour coordonner l'éducation civique ont produit des résultats mitigés et ont confirmé ce qui était déjà évident pour les observateurs de la Fondation Carter : bien que d'excellentes activités d'éducation civique soient menées par les organisations non gouvernementales nationales et internationales avec l'appui des bailleurs de fonds, celles-ci ne couvrent pas l'entièreté du pays. L'éducation civique est un besoin permanent dans toute société démocratique, plus particulièrement encore dans une société qui sort d'un conflit, comme la RDC. Il est essentiel non seulement de promouvoir un vote réfléchi mais aussi de d'encourager la participation de la population au processus démocratique dans son entièreté. Une population informée et investie de pouvoir constitue la fondation même d'un tel processus. Aussi, la Fondation Carter lance un vibrant appel tant aux institutions congolaises qu'à la communauté internationale pour soutenir une éducation civique effective au cours des mois et années à venir. C'est là un élément essentiel pour une transition réussie vers une démocratie stable et forte.
La Mission d'observation de la Fondation Carter en RD Congo
La Fondation Carter a lancé sa mission d'observation en République Démocratique du Congo en mars 2006 avec l'ouverture d'un bureau sur le terrain à Kinshasa. Depuis le 24 avril, avec la coopération et l'appui de la CEI et de la MONUC, la mission a déployé huit observateurs à long terme à travers le pays pour suivre les préparatifs des élections présidentielles et législatives du 30 juillet 2006. Une délégation de plus de 50 observateurs arrivera à la mi-juillet pour observer les derniers jours de la campagne, le jour du vote, le dépouillement et la compilation. La mission d'observation se poursuivra lors du second tour des présidentielles, si ce dernier s'avère nécessaire.
La Fondation Carter a rencontré la CEI, les partis politiques et les candidats, les groupes de la société civile ainsi que les observateurs nationaux, les organisations médiatiques, la MONUC et d'autres membres de la communauté internationale. La Fondation va continuer à consulter les acteurs au niveau national et local pendant son observation du processus électoral. La Fondation Carter observe et soutient la Déclaration des Principes et le Code de Bonne Conduite pour l'Observation Electorale Internationale.
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La Fondation Carter fut créée en 1982 par l'ancien Président américain Jimmy Carter et sa femme, Rosalynn, en partenariat avec l'Université Emory, pour promouvoir la paix et le bien être à travers le monde. Organisation non-gouvernementale à but non lucratif, la Fondation a aidé à l'amélioration de la vie des peuples dans plus de 65 pays, en résolvant les conflits et par la promotion de la démocratie, des droits de l'homme et des opportunités économiques ; par la prévention des maladies, l'amélioration de la santé mentale ; ainsi que par l'enseignement aux agriculteurs de méthodes pour accroître leur production agricole. Pour en savoir plus sur la Fondation Carter, consulter le site web : www.cartercenter.org