Contrairement au vœu exprimé par le président de la République, Joseph Kabila, en initiant en décembre 2012 la tenue de concertations nationales, le décor qui se plante à quelques jours de l’ouverture de ces travaux n’augure pas de lendemains meilleurs. Comme dans d’autres fora similaires, les concertations nationales risquent d’accoucher d’une souris. Et pour cause.
LES TERMES DES CONCERTATIONS
L’ordonnance n°13/078 du 26 juin 2013 portant création, organisation et fonctionnement des concertations nationales précise dans des termes clairs que « Les concertations nationales ont pour objet la réunion de toutes les couches sociopolitiques de la Nation afin de réfléchir, d’échanger et de débattre, en toute liberté et sans contrainte, de tous les voies et moyens susceptibles de consolider la cohésion nationale, de renforcer et étendre l’autorité de l’Etat sur tout le territoire national en vue de mettre fin aux cycles de violence à l’Est du pays, de conjurer toute tentative de déstabilisation des institutions et d’accélérer le développement du pays dans la paix et la concorde ».
Malheureusement, encore une fois et, comme à l’accoutumée, la classe politique congolaise a étalé ses ambitions. Elles se résument en un partage de pouvoirs et de responsabilités au sein de différentes institutions.
Léon Kengo wa Dondo, président du Sénat et membre du présidium des concertations nationales, a dit tout haut ce que tous, dans la classe politique, chuchotent tout bas. Il a annoncé le samedi 10 août 2013 à Kinshasa, la mise en place d’un nouveau gouvernement à l’issue de ces concertations nationales sera forcément la composition d’un gouvernement de large union nationale où cohabiteraient la Majorité, l’Opposition et la Société civile. Un pavé qui n’a pas laissé indifférente la classe politique.
Pour une fois, la Majorité et l’Opposition ont presque émis sur la même longueur d’ondes citriques. « Les déclarations de Kengo sont révoltantes. Elles traduisent une fois de plus la soif du pouvoir qui caractérise depuis toujours l’homme politique congolais », a indiqué sous le sceau de l’anonymat un analyste politique indépendant.
Interrogé par radio Okapi, le député de la Majorité Emmanuel Ramazani Shadari, président du groupe parlementaire du PPRD, s’est dit étonné de l’annonce d’un gouvernement issu des concertations nationales. « Si on dit que Majorité, Opposition et Société civile : formez un gouvernement. Donc, il n’y aura pas d’opposition et la Constitution sera violée. Pourquoi aller aux concertations, dépenser de l’argent et payer des hôtels, si on veut partager le pouvoir, alors qu’on peut le faire calmement ici (Ndlr : en restant à Kinshasa) », s’est plaint l’élu de Kabambare (Maniema) qualifiant les propos de Kengo d’un «discours politicien pour faire un clin d’œil à l’Opposition».
Certains membres de l’Opposition relèvent des contradictions avec des options levées au terme de leur dernier Conclave organisé à Limete (Kinshasa). Pour ce courant, Léon Kengo aurait agi en cavalier seul, ses déclarations n’engageraient pas l’ensemble de l’Opposition.
Le secrétaire général de l’Union pour nation congolaise (UNC), Jean-Bertrand Ewanga, s’est montré explicite. Approché par radio Okapi, il a déclaré : « Kengo joue un jeu dangereux. Au niveau de l’opposition, on n’a pas reconnu le présidium de ces concertations parce que l’ordonnance a été prise par M. Kabila pour son intérêt et pour favoriser sa Majorité ». En clair, l’UNC appelle le président du Sénat à se soumettre à la discipline du dernier conclave de l’Opposition.
RETOUR A LA 2EME REPUBLIQUE
Dans l’opinion publique, la surprise est totale. D’aucuns soutiennent que la voie tracée par Léon Kengo irait au-delà des limites tracées par l’ordonnance convoquant les concertations nationales. Celle-ci fixe les grands thèmes des assises, à savoir « Gouvernance, démocratie et réformes institutionnelles ; Economie, secteur productif et finances publiques ; Désarmement, démobilisation, réintégration sociale et/ou rapatriement des groupes armés ; Conflits communautaires, paix et réconciliation nationale ; Décentralisation et renforcement de l’autorité de l’Etat ». La question qui reste pendante est celle de savoir où le président du Sénat est allé dénicher sa fameuse proposition.
Sur ce point précis, des avis sont partagés. Certains trouvent dans la déclaration du président du Sénat une belle manière d’amadouer l’Opposition pour obtenir son adhésion à ce grand forum national. Séduit par ce bel appât, les indécis de l’Opposition viendraient compléter le cachet national que l’on voudrait imprimer à ces assises.
D’autres y voient un ballon d’essai dont la réussite aiderait le président de la République soit à dépasser le cap de 2016, soit à réussir la révision constitutionnelle (article 220) qui lui ouvrirait la voie vers un troisième mandat. Un gouvernement d’union nationale, dans ce contexte, servirait de période transitoire, pendant laquelle tous les coups fourrés seraient au rendez-vous.
Les plus inquiets se disent que la proposition de Kengo wa Dondo ramènerait le pays plusieurs décennies en arrière. Ils rappellent que depuis 1990, les échanges entre Congolais dans leur diversité sémantique et conceptuelle (conférence nationale souveraine, dialogue inter congolais, dialogue national, concertations nationales, etc.) se sont soldés par des gouvernements d’union nationale sans jamais apporter une solution satisfaisante et définitive au problème de fond. Raison pour laquelle la crise politique persiste en termes de légitimité, contestations, guerres civiles avec leur cortège de désastres.
La grande inquiétude serait que la proposition de Kengo ne replonge le pays dans cette transition qui, pendant la 2ème République, a démarré en 1990 avant d’être interrompue brutalement en 1997 par l’AFDL. Le règne de l’AFDL a aussi expérimenté sa propre transition qui est allée de 2003 à 2006.
LE SPECTRE DE LA BALKANISATION
Le Congo a-t-il encore besoin d’une nouvelle transition quand on sait que toutes celles qui noircissent les pages de son histoire n’ont jamais profité au peuple congolais ? Répondre par l’affirmative serait faire preuve de négation du souverain primaire. Tant il est vrai que relancer cette expérience macabre serait saborder le processus électoral avec en sus des guerres qui s’accompagnent de pillages des ressources naturelles du pays.
La proposition de Kengo est suicidaire pour le pays. Elle ne résout pas le problème. Au contraire, si cette idée passe, il faudrait dire adieu aux élections en 2016. Bien plus, ce serait prêter le flanc tous les envieux et autres fossoyeurs de la RDC qui y verront une occasion pour râler que les Congolais sont incapables d’asseoir la démocratie et de s’attaquer au développement de leur pays. Auquel cas, la balkanisation serait la bienvenue.
Depuis 2006, le peuple congolais a unanimement convenu de l’élection comme le seul moyen d’accéder au pouvoir. Le président Kabila a été élu pour un mandat de 5 ans qui échoit en 2016. Date à laquelle vont intervenir de nouvelles échéances électorales. Tout autre arrangement pour inverser cette tendance ne peut être considéré que comme une violation de la Constitution.
Pour rappel, les concertations nationales ont été convoquées dans un contexte bien déterminé. Et l’accord-cadre d’Addis-Abeba a confirmé le principe d’un dialogue national en vue de consolider la cohésion nationale. Nulle part, il est dit que cette cohésion devrait passer inévitablement par la formation d’un gouvernement d’union nationale où des caciques de tout temps se retrouvent toujours comme dans un système fermé et verrouillé.
Le pavé dans la mare de Kengo wa Dondo a l’inconvénient de replonger le pays dans un cycle de crises où les Congolais auront du mal à sortir. S’y engager, serait hypothéquer tous les efforts entrepris jusque-là pour asseoir le processus démocratique en RDC.