Les 60 millions de Congolaises et de Congolais attendaient impatiemment le message du Chef de l’Etat, le samedi 6 décembre 2008 au soir, à l’occasion du second anniversaire de son mandat de cinq ans (2006-2011). Hélas, Joseph Kabila est resté totalement aphone. Pourtant, l’année dernière, il avait choisi la tribune du Palais du Peuple, devant sénateurs et députés réunis en Congrès, pour se livrer à un exercice fort prisé par nos compatriotes. Le besoin d’un nouvel état des lieux se faisant grandement sentir, le « tribunal populaire » s’est auto-saisi du dossier, pour faire son évaluation, en prenant pour paramètres, les principaux axes du message présidentiel du 6 décembre 2007.
Sécurité : pari impossible ?
Il y a une année, Joseph Kabila s’était réjoui de constater que toutes les institutions nationales et provinciales de la 3me République étaient en marche, sous la direction d’animateurs issus des urnes. Au niveau du « tribunal » du peuple, personne ne nie cette réalité de la démocratie naissante. Par contre, les propos suivants continuent de troubler les esprits : « Nos frères et sœurs du Nord et du Sud-Kivu ont trop souffert, victimes de viols, vols, assassinats et exactions diverses. Nous devons impérativement et urgemment mettre fin à ces souffrances. Ce sera bientôt chose faite. Quoi qu’il en coûte… ».
Au regard de la cartographie actuelle du Nord-Kivu, sous la botte du général rebelle Laurent Nkunda depuis plus d’une année, en passe de se muer en micro-Etat indépendant, pendant que près de 2 millions de compatriotes errent entre monts et vallées, l’opinion publique se demande si le Chef de l’Etat n’est pas passé à côté de son pari. La partie Est du pays parait d’autant fragile que la communauté internationale parait avoir lâché le gouvernement. La Monuc attend un renfort de 3.000 casques bleus pour un mandat qui risque d’être sans impact sur la rébellion du CNDP alors que l’Union Européenne a jeté l’éponge dans son projet d’envoi d’une force intermédiaire d’interposition.
Aux dernières nouvelles, les officiels congolais semblent avoir souscrit au schéma des négociations directes avec Nkunda, tel que préconisé par Obasanjo, émissaire spécial de l’Onu, tout en continuant de réaffirmer leur foi dans une coquille vide appelée « Programme Amani ». Le peuple congolais a du mal à croire que notre diplomatie a retrouvé ses lettres de noblesse au sein de l’Union Africaine, de la CEEAC, de la SADC et des instances internationales alors que curieusement, la voix du Rwanda, présumé co-auteur, avec le CNDP, de nos ennuis sécuritaires, porte et convainc plus le monde extérieur.
Justice : mention spéciale mais…
Le « tribunal populaire » a accordé une mention spéciale au Chef de l’Etat pour avoir effectivement donné un grand coup de balai au secteur judiciaire, en rayant de la carte de nombreux hauts magistrats de la Cour Suprême de Justice et du Parquet général de la République. Tout en partageant son souci de voir notre appareil judiciaire servir de « pierre angulaire de l’Etat » et impulser la croissance, l’on regrette que l’épuration n’ait pas touché les juridictions inférieures ainsi que les services spéciaux, où sont enregistrées au quotidien de graves atteintes aux droits de la personne humaine. La « République des juges » qu’il avait tant décriée, à associer à celle des « agents des services spéciaux » et des inciviques de tous bords, armés et non armés, continue malheureusement d’empoisonner la vie en société.
5 chantiers : trop de discours… peu d’actions
Après les tâtonnements des douze premiers mois, dus essentiellement aux difficultés de recherche de financement sur le marché international, avait-on appris, les 5 chantiers de la République devraient en principe prendre leur envol en 2008, grâce notamment au partenariat conclu avec la République de Chine.
« Pour la première fois dans notre histoire, le peuple congolais pourra enfin voir à quoi aura servi son cobalt, nickel ou cuivre. Tel est l’esprit des accords avec la partie chinoise », avait martelé Joseph Kabila. Il avait alors annoncé quelques projets prioritaires : modernisation des aéroports de Kavumu et Ndjili ; construction d’une autoroute entre l’aéroport de Ndjili et le centre de la ville de Kinshasa ; modernisation de la voirie de principales villes du pays ainsi que des boulevards du 30 juin, Lumumba et de l’avenue de la Libération à Kinshasa ; construction de deux universités modernes; réhabilitation de quatre quais à Matadi, du port de Mbandaka et de la drague de Banana ; construction et modernisation de la ligne de chemin de fer Sakania-Matadi ; construction d’hôtels 5 étoiles dont un à Kinshasa et un à Lubumbashi ; début des travaux de modernisation de plusieurs routes d’intérêt national et de bitumage de l’axe Kisangani-Lubumbashi ; construction des centres commerciaux ultra modernes ; etc.
A ce jour, la visibilité de toutes ces infrastructures est problématique. A Kinshasa particulièrement, les automobilistes sont très ennuyés de se retrouver dans une capitale sans routes.
Emploi, eau, électricité, éducation : constat négatif
Même si des milliers d’emplois ont été créés en 24 mois, cet effort parait comme une goutte d’eau dans l’océan, au vu des millions de chômeurs qui écument les villes du pays et des milliers de diplômés que les universités et instituts supérieurs déversent chaque jour sur le marché du travail. L’emploi est un chantier où tout reste à faire, d’autant que l’Etat lui-même continue de payer des salaires de misère à ses employés.
La preuve en est que cette année encore, plusieurs semaines de cours ont été gaspillées dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur, suite aux grèves prolongées des maîtres d’écoles et professeurs. La grogne sociale a touché aussi de plein fouet le secteur médical où des milliers de morts ont été comptés dans les hôpitaux publics, à travers l’ensemble du pays, suite à la cessation de travail par les médecins, infirmiers et agents administratifs. Les barèmes intermédiaires de rémunérations proposés aux uns et aux autres, sont perçus comme des bombes à retardement pour l’exercice 2009.
La desserte en eau potable et en électricité, dans les rares villes jusque-là desservies en ces deux produits, laisse encore à désirer. Les consommateurs sont tellement déçus que les gestionnaires de la Regideso et de la Snel ont dû répondre à une récente interpellation du Sénat. Au terme de cet exercice, il est apparu que l’Etat congolais est le plus grand débiteur de ces deux entreprises publiques et par ailleurs, il ne leur donne pas les moyens conformes à leur objet social.
La société des antivaleurs
L’impunité, notamment des détourneurs des deniers publics, la corruption, la dépravation des mœurs, le trafic d’influence, ont confirmé l’émergence en RDC d’une société fondée beaucoup plus sur les antivaleurs que sur les valeurs. La fin de la récréation, sifflée depuis le 5 décembre 2006, reste encore un slogan. La culture reste le parent pauvre du budget national. Aucun investissement sérieux n’est consenti pour des infrastructures culturelles. Quant au domaine sportif, il continue sa marche aventureuse avec son chapelet d’échecs en football masculin ( double élimination de la Can et de la Coupe du monde) et féminin (hécatombe en coupe du monde au Chili), en basket, en athlétisme (participation honteuse aux Jeux Olympiques de Pékin), en tennis de table ( catastrophe à domicile en coupe d’Afrique). Le stade des Martyrs demeure l’unique temple du football réellement conforme aux normes internationales tandis que les autres disciplines continuent d’exister pour les frais de mission et de voyage de leurs dirigeants.
Après deux ans de mandat, Joseph Kabila a encore tout à démontrer pour convaincre. Le tribunal populaire attend des signes clairs qui pourraient lui montrer que « la Nation congolaise se porte mieux qu’il y a un an, beaucoup mieux qu’il y a quinze, et son état s’améliore chaque jour davantage ». A la suite des députés, d’aucuns souhaitent que le vécu quotidien soit effectivement pris en compte et qu’au besoin, les dépenses de souveraineté et salaires politiques connaissent des rabattements drastiques. Ils veulent savoir aussi si les décideurs politiques ont la volonté de créer des richesses nationales à la mesure de nos potentialités naturelles et surtout s’ils sont habités par celle de transformer la RDC en Etat moderne, où il ferait bon vivre pour tous ses filles et filles.