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(Bruxelles, le 21 juillet 2008) - Dans la province du Nord-Kivu située dans l'est de la République démocratique du Congo, les meurtres et les viols de civils se poursuivent à un rythme effroyable en dépit de l'accord de paix signé il y a six mois, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. L'accord était censé mettre un terme à ces attaques.
Lors d'une mission de 10 jours effectuée récemment dans les territoires les plus touchés de Masisi et de Rutshuru, dans l'est du Congo, les chercheurs de Human Rights Watch ont recueilli des informations sur plus de 200 meurtres de civils et le viol de centaines de femmes et de filles commis depuis janvier par tous les groupes armés, y compris les soldats de l'armée congolaise.
« Six mois après la signature de l'accord de paix, la situation des droits humains n'a connu aucune amélioration et en fait dans certaines zones, elle s'est détériorée », a expliqué Anneke Van Woudenberg, chercheuse principale à la division Afrique de Human Rights Watch. « Alors que les parties à l'accord de paix assistent aux négociations à Goma, leurs troupes continuent de tuer, de violer et de piller les civils. »
Le 23 janvier 2008, après des semaines de pourparlers, le gouvernement congolais a signé un accord de paix à Goma, dans le Nord-Kivu, avec 22 groupes armés, engageant toutes les parties à un cessez-le-feu immédiat, au désengagement des forces présentes sur le front ainsi qu'au respect des principes internationaux régissant les droits humains. Suite à la signature de cet accord, le gouvernement congolais a mis en place un programme de paix, le Programme Amani, visant à coordonner les efforts de paix dans l'est du Congo. Néanmoins, le gouvernement et les bailleurs de fonds internationaux ont fourni des fonds en quantité limitée pour réaliser ce travail.
L'accord n'a pas mis fin aux combats. Les fonctionnaires des Nations Unies ont relevé quelque 200 violations du cessez-le-feu depuis le 23 janvier. Il s'agit en majorité d'incidents opposant les forces du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) du général rebelle Laurent Nkunda à une coalition informelle de combattants provenant des Mai Mai Mongols, des Patriotes résistants congolais (PARECO) et des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé rwandais dont les dirigeants ont participé au génocide au Rwanda en 1994. Les FDLR ne sont pas signataires de l'accord de Goma.
Human Rights Watch a également trouvé des preuves crédibles que les soldats de l'armée nationale congolaise appuyaient la coalition PARECO-Mai Mai Mongols-FDLR, mettant en question l'engagement du gouvernement en faveur du processus de paix.
La plupart des violations les plus graves des droits humains ont été perpétrées à l'intérieur ou autour du groupement Bukombo, dans la partie ouest de Rutshuru, où quelque 150 civils ont été tués entre février et mai 2008. Les combattants des PARECO et des Mai Mai Mongols, dont beaucoup sont sans entraînement et mal équipés, ont contrôlé la zone de décembre à mars, avec le soutien des combattants des FDLR. Selon des dizaines de personnes interrogées par Human Rights Watch, les combattants ont à maintes reprises opéré des incursions dans des villages à la recherche de bétail, de chèvres et d'autres biens, violant des femmes et des filles et tuant les civils qui s'opposaient à leurs activités ou qu'ils accusaient de collaborer avec leurs ennemis.
Par exemple, le 9 février, des combattants des PARECO ont violé Marie, une femme de Bukombo âgée de 24 ans et enceinte de quatre mois. « Ils m'ont dit que si je ne leur permettais pas de me violer, ils me tueraient », a-t-elle confié à Human Rights Watch. « Ils m'ont attrapé les jambes et m'ont coupé le bas de la jambe droite avec une machette pour me montrer qu'ils ne plaisantaient pas. » Le viol a été si violent qu'elle a fait une fausse couche. Les agresseurs ont ensuite tué le frère de Marie à coups de machette derrière la maison. Après que les attaquants eurent tué au moins deux autres personnes dans le village et violé quatre autres femmes, ils ont fui en direction d'une position toute proche de l'armée congolaise.
En mars et avril, des combattants du CNDP ont lancé une offensive militaire afin de déloger les combattants des PARECO et des Mai Mai Mongols du groupement Bukombo, tuant une centaine de civils en faisant feu au hasard sur plus d'une douzaine de villages. Selon les informations recueillies par Human Rights Watch, bon nombre des tués étaient des personnes âgées ou très jeunes qui n'avaient pas été en mesure de fuir avant les attaques.
Les combattants du CNDP ont également exécuté sommairement des civils qu'ils accusaient d'être des combattants des PARECO. Le 20 avril, dans le village de Gashavu, des combattants du CNDP ont arrêté et attaché quatre hommes et un garçon de 12 ans et les ont ensuite battus à mort à coups de gourdins. Six autres civils ont été enlevés, dont une femme et une fille de 15 ans. Plusieurs ont été libérés par la suite.
Ces affrontements et d'autres accrochages plus récents à Kirumbu, Busoro et Busiye dans le territoire de Masisi, où le CNDP s'oppose aux combattants des PARECO et des FDLR, sont responsables du déplacement massif de civils depuis janvier et de la détérioration de la situation humanitaire. Au Nord-Kivu, près de 100 000 personnes ont été forcées de fuir depuis la signature de l'accord de paix, s'ajoutant aux 750 000 déplacés des combats antérieurs.
En dépit des affrontements actuels, certains combattants ont répondu à l'appel lancé pour déposer les armes. En mai, des centaines de combattants des Mai Mai Mongols se sont rendus, dont 334 dans la ville de Bambu, demandant d'être incorporés dans l'armée congolaise. Mais les autorités gouvernementales congolaises ont omis de répondre rapidement à leur demande et à la date du 10 juillet, au moins 94 combattants étaient partis ; certains seraient retournés au combat.
Dans le cadre des hostilités en cours, les groupes armés ont continué de recruter activement des combattants, dont certains ont été forcés de prendre les armes.
Les casques bleus de l'ONU ? plus de 5 000 sont déployés au Nord-Kivu ? ont tenté de pénétrer dans les zones tampons entre les factions belligérantes mais ils étaient disséminés et ont essuyé des tirs. Le 23 avril, lors d'attaques du CNDP dans le groupement Bukombo, un casque bleu de l'ONU a été blessé, ce qui a débouché sur leur retrait de la zone. Le 11 juin, sans trop prévenir, les forces de maintien de la paix de l'ONU se sont retirées de Misinga, une zone tampon cruciale entre les combattants du CNDP et ceux des PARECO, laissant sans protection des centaines de civils qui avaient cherché à se mettre à l'abri autour de la base de l'ONU. Des témoins interrogés par Human Rights Watch ont expliqué que les combattants des FDLR et des PARECO avaient attaqué peu après le départ des Nations Unies, tuant au moins un civil et provoquant de nouveaux déplacements de la population.
Jean a confié à Human Rights Watch qu'en avril, il avait fui son village de Machumbi, dans le territoire de Masisi, après que des combattants des PARECO eurent tué sa femme sous ses yeux. « Ils nous ont attachés et ont exigé tout notre argent et nos porcs. » se rappelle Jean. « Ma femme a refusé de leur montrer où elle avait caché les porcs et ils l'ont frappée avec un gourdin et lui ont asséné des coups jusqu'à ce qu'elle meure. » Jean, dont le père avait été tué en janvier, est parvenu à s'enfuir avec ses cinq enfants jusqu'au camp de Misinga, proche d'une base des forces de maintien de la paix de l'ONU, où il pensait être en sécurité. En juin, l'ONU a quitté la zone, le forçant à prendre de nouveau la fuite.
Les fonctionnaires de l'ONU en charge des droits humains ont recueilli des informations sur un grand nombre de ces exactions mais ils ne les ont ni publiées, ni mises à la disposition des facilitateurs internationaux des États-Unis, de l'Union européenne et de l'Union Africaine qui sont responsables de faciliter le processus de paix. En juin, les diplomates et les responsables du gouvernement congolais ont accepté de nommer un conseiller spécial sur les droits humains pour l'Est du Congo mais ce poste n'a pas encore été pourvu.
« Le processus de paix est dénué de sens s'il faillit à protéger les civils contre les pires exactions », a souligné Anneke Van Woudenberg. « Les parties à l'accord de paix devraient être fidèles à leur engagement de protéger les civils et les diplomates devraient nommer de toute urgence un conseiller spécial sur les droits humains pour faire en sorte que ces engagements deviennent réalité. »