Le gouvernement de la République démocratique du Congo doit de toute urgence ouvrir une enquête crédible et transparente, avec l'assistance des Nations Unies, sur la mort d'un important défenseur des droits humains, Floribert Chebeya Bahizire, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
Le cadavre de Chebeya a été découvert le 1er juin 2010, peu après qu'il s'était rendu au quartier général de la police à Kinshasa. Le 2 juin, le chef de la police de Kinshasa, Jean de Dieu Oleko, annonçait que la mort de Chebeya était le résultat d'un acte criminel et que la police menait une enquête. Le chauffeur de Chebeya, Fidèle Bazana Edadi, est toujours porté disparu.
« L'annonce choquante de la mort de Floribert Chebeya porte un coup aux droits humains au Congo », a déclaré Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior pour la division Afrique à Human Rights Watch. « L'enquête policière annoncée a besoin de l'aide de l'ONU pour être crédible et transparente et permettre de traduire en justice tous les responsables. »
Chebeya était directeur exécutif de l'une des organisations de défense des droits humains les plus importantes et les plus respectées du Congo, la Voix des Sans Voix, basée à Kinshasa, la capitale. Il faisait partie des défenseurs des droits humains congolais les plus actifs, exposant régulièrement les atteintes commises par les services de sécurité du pays et le gouvernement, et ce, depuis de nombreuses années.
Cela faisait des années que Chebeya faisait l'objet des menaces et des mesures d'intimidation des autorités congolaises du fait de son travail. Ces dernières semaines, il avait signalé qu'il se pensait à nouveau placé sous la surveillance des services de sécurité.
Le 1er juin, Chebeya a reçu un coup de téléphone le convoquant au bureau de l'inspecteur général de la police nationale, le général John Numbi, ont affirmé ses collègues à des agents de l'ONU. Il a quitté son bureau à 17 heures pour aller à ce rendez-vous. Quelques heures plus tard, il a contacté sa famille en lui disant qu'il attendait toujours à l'inspection de la police, mais toutes les communications ont cessé à partir de 21 heures.
Le 2 juin, la police a déclaré que Chebeya avait été retrouvé mort dans sa voiture dans le quartier Mont Ngafula à Kinshasa. En fin de matinée, le 2 juin, un rapport de police selon lequel le corps de Chebeya aurait été retrouvé sur le siège arrière de sa voiture avec des préservatifs usagés et des stimulants sexuels a été diffusé auprès des journalistes et d'autres entités à Kinshasa alors qu'aucune enquête n'avait été ouverte.
La famille de Chebeya et des agents de l'ONU chargés des droits humains ont demandé à voir la dépouille, mais les autorités ont dans un premier temps refusé d'accéder à cette requête. Aujourd'hui, un membre de la famille du défunt, un collègue et des représentants de l'ONU ont eu le droit de se rendre à la morgue à la condition de ne pas toucher la dépouille. Ils ont identifié Chebeya et remarqué qu'il avait un pansement de taille moyenne au front, couvrant apparemment une blessure. Le reste du corps était recouvert d'un drap qui n'a pas été retiré pendant la visite.
« L'accès très limité de la famille Chebeya à la dépouille et les déclarations contradictoires de la police concernant la cause du décès soulèvent de graves préoccupations quant à ce qui s'est réellement passé », a ajouté Anneke Van Woudenberg. « Ces irrégularités indiquent qu'une tentative aurait déjà été faite de dissimuler la vérité. »
Au Congo, les défenseurs des droits humains et les journalistes courent des risques de plus en plus importants du fait de leur travail. Les attaques et assassinats déjà perpétrés n'ont pas souvent fait l'objet d'enquêtes en bonne et due forme et rares sont les responsables qui ont été traduits en justice.
Le 31 juillet 2005, Pascal Kabungulu Kibembi, défenseur des droits humains, a été tué par balle à son domicile à Bukavu, dans l'est du Congo. Sa mort a été suivie par l'assassinat de deux journalistes de Radio Okapi bien connus, Serge Maheshe en juin 2007 et Didace Namujimbo en novembre 2008, toujours à Bukavu. En novembre 2005, le journaliste Franck Ngyke et son épouse Hélène Mpaka ont été assassinés devant leur maison à Kinshasa. Les enquêtes sur ces assassinats et les procès qui s'en sont suivis, menés par les autorités militaires congolaises, ont été marqués par de sérieuses irrégularités.
Human Rights Watch a exhorté le ministre de la Justice et des Droits de l'homme à instituer sur-le-champ une commission d'enquête composée notamment d'agents congolais et de l'ONU, ainsi que d'un représentant de la communauté congolaise des droits humains, afin d'enquêter sur la mort de Chebeya.
« Les autorités congolaises devraient faire tout leur possible pour traduire les assassins de Chebeya devant la justice et veiller à ce que l'enquête ne soit pas bâclée, contrairement à ce qui s'est produit par le passé », a conclu Anneke Van Woudenberg. « Des agents de l'ONU et des organisations congolaises des droits humains devraient jouer un rôle afin de s'assurer que l'enquête du gouvernement est bien réelle et pas simplement pour la forme. »