Rappel pour consultation de l'ambassadeur congolais en Belgique. Fermeture du consulat de la RDC à Anvers et invitation à la Belgique d'en faire autant à Lubumbashi et à Bukavu. Proposition de réexaminer les termes de coopération entre la République démocratique du Congo et la Belgique afin d'en évaluer l'ampleur. Telles sont les décisions prises par le gouvernement congolais au terme de sa réunion hebdomadaire du vendredi 23 mai. C'était en réaction à une énième déclaration « choquante » de Karel de Gucht, ministre belge des Affaires étrangères, relative à «l'obligation morale » de la Belgique d'avoir un droit de regard sur tout ce qui se passe en République démocratique du Congo. Juste assez pour qu'effectivement, la République démocratique du Congo et la Belgique entrent dans la phase de conflit.
Le gouvernement congolais a décidé de rappeler pour consultation son ambassadeur en Belgique. Entre-temps il a pris la décision de fermer le consulat congolais en Belgique, à Anvers. Bien plus, le Conseil des ministres, au cours de sa réunion du vendredi 23 mai, a également décidé de procéder au réexamen des termes de la coopération entre nos deux pays afin d'en évaluer l'ampleur. Et qu'il a été demandé à la Belgique de fermer ses consulats de Lubumbashi et de Bukavu.
Cette vive réaction du gouvernement congolais est en rapport avec la déclaration faite dernièrement par Karel de Gucht, ministre belge des Affaires étrangères selon laquelle la Belgique a une « obligation morale » d'avoir un droit de regard sur tout ce qui se passe en République démocratique du Congo. Propos que le ministre belge a encore confirmé dimanche à l'émission « De Zevende Dag », de la VRT, en Belgique. Pour lui, « il est normal que le gouvernement belge qui investit annuellement de 150 à 200 millions d'euros pour le Congo demande aux élites de ce pays de faire des efforts pour amener la RDC dans la bonne voie ». Déclaration choquante teintée de « paternalisme » et de « néo-colonialisme » qui a suscité cette réaction rigoureuse de Kinshasa pour autant qu'elle porte atteinte à la souveraineté et à la dignité de l' Etat congolais. Le ministre belge ne s'en offusque pas : « Si on considère ainsi le fait de dire que les dirigeants congolais doivent faire des efforts, alors je suis effectivement un néo-colonialiste convaincu ».
A Kinshasa et à Bruxelles, l'on n'est pas du tout surpris de la tournure prise par les événements. D'ailleurs, dans les milieux proches du pouvoir des deux capitales, l'on affirme que l'« on a frôlé la rupture ».
En effet, depuis le mois de mars, la tension avait monté d'un cran entre Kinshasa et Bruxelles. Lors du dernier séjour des ministres belges au Congo, Karel De Gucht, fidèle à son style, ne s'était nullement gêné d'indisposer les dirigeants congolais les accusant « de pouvoir de corruption et d'enrichissement sans mesure ». Déclaration soutenue par un message du gouvernement belge que Karel de Gucht avait transmis au président Kabila.
Réaction prompte et vive du chef de l'Etat qui avait mis en garde les responsables belges contre cette attitude de voir les choses. Sur un ton menaçant, il avait précisé que c'était la toute dernière fois qu'il se permettrait de recevoir ce genre de message avant d'inviter le gouvernement belge à décider du type de relations avec la RDC : « Soit de très bonnes relations de partenariat adulte avec un Etat souverain et indépendant, soit de relations de maître à esclave ». Qui est le maître, qui est l'esclave ? Toute la question est là, rappelant ainsi la période trouble et tumultueuse entre le Zaïre et la Belgique des temps forts de Mobutu. Serait-ce cette spirale qui serait en train de se reconstruire ?
UNE AFFAIRE D'INTERETS
Il est important de souligner que même durant l'époque lointaine de Mobutu, les « disputes de ménage »,(encore qu'à cette époque la question s'était posée de savoir qui était le mari et qui était l'épouse), les conflits entre le Zaïre et la Belgique se déroulaient sur fond d'intérêts des « 300 Messieurs » de la Belgique. Du fait que Mobutu avait commis le « crime de lèse majesté » de toucher aux intérêts financiers de l'Union minière du Haut Katanga, il était devenu l'homme à abattre. Toutes les critiques émises sur les droits de l'homme, la corruption, n'étaient que des prétextes sur lesquels ses adversaires s'appuyaient pour bien enfoncer le clou.
Il est vrai qu'à cette époque aussi, les dirigeants zaïrois avaient prêté le flanc à leurs adversaires en versant dans une insouciance inacceptable vis-à-vis du peuple zaïrois, aujourd'hui congolais.
Il y a des risques forts que le même scénario se répète. Cette fois, en prenant prétexte sur la « Convention sino-congolaise ». Mais au-delà, il y a bel et bien une question des intérêts des uns et des autres. Qui a perdu dans ce marché qui refuse de livrer ses secrets pour menacer les intérêts des peuples belge et congolais ? Les « 300 Messieurs de la Belgique » qui auraient investi des fonds importants ou « allouent annuellement 150 à 200 millions d'euros à la RDC » pour reprendre les propos de Karel, existent-ils toujours ? Ne se retrouvent-ils pas dans cette phase de la reconstruction de la RDC marquée par la répartition de marchés ? Même si l' on ne le dit pas clairement, le conflit actuel laisse transparaître que dans la redistribution des cartes pour le « Marché », certains pays européens, avec la Belgique en tête, n' auraient pas été bien servis. D'où, toutes ces provocations systématiques de Karel de Gucht. Et bien sûr, la RDC est en train de payer les incohérences de la politique interne belge. Disons le bras de fer de plus en plus permanent entre les Flamands et les Wallons. Les premiers affirment que ce sont les seconds qui sont mieux servis au Congo, déjà par ce fait que la RDC appartient à la grande famille de la « Francophonie » où les flamands ne se retrouvent pas. Pourquoi alors continuer à avoir des relations privilégiées avec la RDC. La rupture des relations diplomatiques arrangerait bien les Flamands qui veulent que la Belgique se tourne maintenant vers l'Afrique du Sud. Karel de Gucht confirme cette thèse en se montrant énervé par les critiques du MR et du PS. « J'ai l'impression que les francophones pensent toujours que le Congo est la dixième province belge sur laquelle on ne peut rien dire », a dit le ministre hier dimanche. Ces partis ont critiqué le ton utilisé par leur ministre des Affaires étrangères qui doit être entendu cette semaine au parlement.
UN LANGAGE INDECENT
Il est peut-être vrai que dans les déclarations choquantes de Karel De Gucht, qu'il y ait une part de vérité. Il revient donc aux Congolais, comme à l'époque de Mobutu, de mieux s'appesantir sur ces observations pour ne pas continuer à lui prêter le flanc. Cela d'autant plus que dans ce processus de démocratisation qui est en train de faire du bon chemin, après les élections de 2006, le rendez-vous est pris pour 2011. Le peuple congolais sera appelé à juger et à trancher. On ne peut donc gâcher cette chance historique. Si le ministre belge raconte des inepties, il revient encore aux Congolais de lui donner une belle leçon en affichant une attitude responsable pour ne pas tomber dans le piège. Car, s'il n'y a pas de vérité, il y a lieu de s'occuper d'autres choses que d'accorder une quelconque attention à des contre-vérités.
En effet, en sa qualité d'homme d'Etat, Karel de Gucht doit savoir qu'il ne s'adresse pas à un « esclave ni à quelqu'un qui lui doit des comptes ». Karel de Gucht, en tant que ministre des Affaires étrangères, engage d'abord le gouvernement belge et le Royaume de Belgique. Il s'adresse à des autorités congolaises légitimes, quelle que soit leur couleur. Elles incarnent la souveraineté de l'Etat congolais. Ce ton arrogant sur fond de paternalisme et de néo-colonialisme en ce 21è siècle de bonne civilisation est indécent et tout ce qu'il y a de plus indigeste.
Car, dans ce conflit, ni la Belgique ni la République démocratique du Congo ne retrouvent leurs comptes. Aucun des deux pays, comme diraient certains, n'en sortirait gagnant. Fait déjà prouvé avec Mobutu. Certes, il y a des éléments affectifs en plus des aspects historiques et sociologiques sur lesquels l'on doit absolument s'appuyer pour entretenir une coopération adulte et responsable. Il est important que Kinshasa et Bruxelles en tiennent compte chaque fois dans leurs discours flamboyants, et parfois vindicatifs.
Evidemment, la question fondamentale demeure celle de savoir ce qui se cache effectivement derrière tout ce remue-ménage. Il y a bien sûr des intérêts, des uns et des autres, que nous avons déjà évoqués. Or, dans certains milieux belges, l'on qualifie le chef de l' Etat congolais « d'arrogant ». Un journal belge, flamand, s'est même permis cette insinuation qu'une telle arrogance précède souvent « une chute ». Qu'est-ce à dire ?
Ils n'ont pas tort, ces Congolais qui s'interrogent sur la suite des événements. Après l'assassinat de Lumumba, de Laurent- Désiré Kabila, à qui le prochain tour ? Une interrogation pertinente qui renvoie plusieurs observateurs à ce « complot international » visant la balkanisation de la République démocratique du Congo.